La science-fiction ne se lasse pas d’être une littérature de gare. Pendant très longtemps, et encore aujourd’hui, amis scientifiques, vous considérez ce sous-genre comme tel, avec une qualité littéraire toute relative, dont les sources scientifiques sont plus que douteuses, dont les idéologies peuvent être tout sauf humanistes, la liste des critiques est longue. Ce n’est pas que la science-fiction soit ennuyeuse, ce n’est pas qu’elle soit vraie ou fausse (après tout, c’est de la fiction), non : la science-fiction, ce n’est pas une littérature appréciable parce que c’est de la fiction, et qu’elle a eu l’outrecuidance de placer le terme science dans son nom.
Je ne vais pas faire ici l’apologie de cette littérature dans son ensemble : auteurs parfois parfaitement indigents, thématiques lues et relues, absence complète de culture de lauteur (et des lecteurs), éditeurs sans goût … une littérature qui gagne de l’argent tant bien que mal, souvent mal traduite, mal comprise … Cette littérature dite de gare est aussi le lieu dans lequel s’ébattent de potentiels sectaires (au milieu de Van Vogt et Hubbard), de sombres illuminés … Le pire et le meilleur des rêves des sciences s’y retrouve main dans la main, scientisme, scientologie, eugénisme, peur du nucléaire, fuite en avant dans l’espace, tous les rêves de demain s’y retrouvent dès aujourd’hui.
L’histoire de ces rêves se retrouve dans l’histoire de la science-fiction. Croire que la science fiction des années 50, 60, 70, ou d’aujourd’hui reste la même montre un aussi grand manque culturel que d’affirmer que les théories d’intelligent design ont expérimentalement quelque chose de vrai. Evolution des idées, des technologies, des rapports homme/sciences, des points de vue, … tout est bon dans le cochon !
D’ailleurs, comment peut-on rapprocher aussi facilement Jules Verne, Serge Brussolo, Norman Spinrad, Dan Simmons, Volkoff (Alexandre), Philippe Goy, la liste est tellement longue ! Il y a de la littérature de la vraie. Il y a de la vraie littérature de gare (Serge Brussolo s’en vantait, mais je reste soufflé encore aujourd’hui par “Sommeil de sang”. Il y a de la vraie littérature américaine déjantée (aujourd’hui Philip K. Dick est un auteur reconnu, enfin !). Il y a de la vraie littérature russe (”les hauteurs béantes”). Y a t’il une bonne raison pour rapprocher tous ces auteurs, toutes ces oeuvres ?
Parler des sciences autrement, c’est également ça la science-fiction. Décloisonner les thématiques, construire des idées étonnantes, pour le plaisir, et, trente années après, mieux rendre compte de la réalité contemporaine que les contemporains. Lisez ce petit texte mal écrit de Robert Silverberg : “” parlant d’une société tellement mixée, mondialisée, qu’on rêverait, en pleurant, des particularités physiques des uns et des autres … (écrite en 1974). C’est tellement révélateur de ce qu’est la science-fiction : pas une photo de l’avenir, mais de l’imaginaire, celui qui nous permet de collectivement construire notre avenir.
L’évolution parallèle des sujets abordés et la forme que prennent ces romans est aussi révélatrice d’époques, de tendances, et qui éclairent sciences et culture sous leurs plus intimes relations. A quel point sommes nous aujourd’hui inclus dans un réseau technologique, sommes nous en train de devenir des animaux technologiques, nous conformant aux idées qui nous ont fait construire les machines ? Quel échappatoire ? Des mondes parallèles faits d’elfes et de monstres, mondes imaginaires, ceux de nos idées et de nos idéaux, seuls capables de nous permettre de vivre ? Nos relations avec les sciences ne procèdent elles pas de notre histoire passée ?
Et voici un évènement si surprenant que tout le monde en est resté baba : une crise économique sans précédent, qui transforme notre société mondialisée. Oh la la ! Je sais que cette crise doit exister normalement depuis au moins 20 ans, et je voyais bien qu’on y était. Je ne le sais pas parce que je lis de savants livres économiques. Je ne le sais pas parce que j’ai une formation scientifique. Je ne le sais pas parce que j’ai des dons de prescience. Je le sais parce que je lis des livres de science fiction.
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