La commune de Katsunuma, dans la préfecture de Yamanashi, est la plus grande région productrice de raisins du Japon. Elle est connue aussi pour avoir joué le rôle de pionnier dans la vinification, avec la création, il y a cent vingt ans, de la première société viticole du pays. A l'est de la ville, le quartier de Toriibira est considéré comme le berceau de la culture de la vigne. Les vignes s'y étendent jusqu'au flanc ensoleillé de la montagne. C'est ici que l'on produit depuis l'époque d'Edo [1603-1967] la délicieuse variété de raisin japonais appelée koshu.
Environ 60 % des quelque 9 000 habitants de Katsunuma sont agriculteurs. Et ils cultivent presque tous des vignes. On ne voit aucune rizière dans la région. "Goûtez, s'il vous plaît", nous invite Shigekazu Misawa (51 ans), quatrième PDG de la société Chuo Budoshu (Grace Wine), pendant notre visite dans son vignoble de Toriibira. Le raisin est très goûteux, beaucoup plus sucré et acide que celui que l'on mange d'habitude. Il s'agit d'un cabernet sauvignon. M. Misawa a repris l'exploitation familiale après avoir travaillé pendant plus de dix ans dans une société de commerce. "Jusqu'à l'époque de mon père, on se contentait de fabriquer du vin doux", explique-t-il. Mais, depuis dix ans, il teste des variétés européennes comme le merlot et le chardonnay.
Lorsque les autorités ont libéralisé l'importation des vins étrangers, à la fin des années 80, le vin blanc de koshu - qui jusque-là était le plus répandu - a commencé à perdre son attrait auprès des Japonais. C'est pourquoi M. Misawa a fondé en 1987, avec Haruo Omura, le Katsunuma Winery Club afin de regrouper les petits et moyens producteurs de la commune. Directeur général de Marufuji Winery, une société fondée en 1890, M. Omura (48 ans) avait étudié la vinification en France quand il était jeune. Le club permit surtout d'échanger sans cesse des informations sur les méthodes de culture les plus adaptées au climat de la région et sur les techniques de vinification. Les sociétés membres ont, depuis, rivalisé d'ingéniosité pour développer des procédés particuliers de vinification. Exemple : l'idée de corser le goût du vin en laissant la lie dans le vin après la fermentation.
Le Japon étant balayé par les cyclones et les précipitations y étant plus fortes qu'en Europe, les viticulteurs locaux ne peuvent pas utiliser n'importe quel cépage. Ils doivent faire un travail de sélection pour obtenir des plants adaptés à ces conditions climatiques très particulières. La ferme expérimentale de Yamanashi est en outre en train de mettre au point de nouvelles variétés résultant de croisements avec des cépages européens. Le kaï blanc est obtenu en croisant du koshu et du pinot blanc, tandis que le kaï noir est un mélange de cabernet sauvignon et d'une variété japonaise. Certains producteurs ont déjà commencé à les cultiver.
Pour faire jeu égal avec les vins d'importation, il est indispensable de posséder des cépages uniquement destinés à la fabrication du vin. Qui plus est, pour devenir une région productrice à part entière, le cru doit posséder un caractère singulier. Le vin étant un condensé des bienfaits de la terre, il est primordial de le fabriquer avec le raisin récolté dans la région. M. Misawa et ses amis tentent d'y parvenir en utilisant le koshu, cépage propre au Japon qui a plus de mille deux cents ans d'histoire. La préfecture de Yamanashi en produit environ 10 000 tonnes par an. Mais son utilisation pour le vin blanc n'a pas toujours joui d'une bonne réputation. Il n'empêche que le blanc sec fabriqué par M. Misawa à partir de ce cépage a obtenu la médaille d'or au concours international qui s'est tenu à Tokyo en 1998 dans la catégorie des vins blancs japonais.
Grâce à ses recherches sur les techniques de vieillissement en fûts, M. Misawa a ouvert de nouvelles perspectives à cette variété de vigne. "Propre au Japon, le koshu a de grandes chances de devenir la référence en la matière", affirme-t-il. Aujourd'hui, M. Misawa continue à rechercher le cépage le plus approprié à sa région. C'est ainsi qu'il se lance dans la "culture par semis" tout en admettant que "cent ans ne suffiront peut-être pas pour exploiter ses potentialités génétiques".
Source: Asahi Shimbun (Courrier International)