22 octobre 2008, François Fillon présentait le décret annonçant la création du Comité pour la réforme des collectivités territoriales dont la présidence a été confiée à l’ancien Premier ministre, Edouard Balladur. Selon ce décret, charge à ce comité «d’étudier les mesures propres à simplifier les structures des collectivités locales, de clarifier la répartition de leurs compétences, de permettre une meilleure allocation de leurs moyens financiers, et de formuler toute recommandation qu’il jugera utile à la réforme des collectivités locales ». C’est accompagné d’un large écho médiatique que le 5 mars dernier, le Comité a remis son rapport au Président de la République !
Un attachement prononcé à la région !
« Favoriser les regroupements volontaires de régions et la modification de leurs limites territoriales, pour en réduire le nombre à une quinzaine », telle est la première proposition de ce rapport, proposition qui a suscité de vives réactions au sein de l’opinion et de la classe politique. Si les membres du comité ont régulièrement rappelé que le rapport n’évoque aucun nom de région et que tout se passera sur la base du volontariat ou de référendum, les spéculations autour de fusions, de rapprochements et autres démantèlement de région se sont multipliées. Plus officieuses qu’officielles, les hypothèses soulevées ont pourtant, pour un grand nombre d’entre elles, déjà été évoquées par le passé (à l’image de la réunification des deux Normandie par exemple), voire même sont toujours à l’étude au sein de collectifs ou d’associations tels que Bretagne 2032, l’Assemblée des Pays de Savoie, ou encore le syndicat mixte Paris-Métropole (alors même que la proposition n°18 sur la création d’un Grand Paris semble déjà avoir été remise à plus tard). Toutefois, et on le comprend aisément, si les réactions politiques sont nombreuses, notamment de la part des élus locaux, les Français eux aussi s’intéressent au débat et se montrent peu enclins à accepter les possibles aménagements territoriaux à venir.
Deux sondages réalisés à quelques jours d’intervalle attestent de l’attachement des Français à leur région. Parmi les différentes mesures testées auprès de l’opinion, le passage de 22 à 15 régions est celle qui recueille la plus faible adhésion (loin derrière le renforcement des intercommunalités, proposition n°4 ou encore la désignation par une même élection, à partir de 2014, des conseillers régionaux et départementaux, proposition n°3). Ainsi, fin février « seules » 39% des personnes interrogées par l’institut CSA se déclaraient favorables à cette proposition. Une semaine plus tard, Opinion Way annonçait une adhésion à cette mesure légèrement supérieure quoique toujours minoritaire à hauteur de 45%. A noter sur cette question qu’on observe un clivage politique particulièrement marqué avec une adhésion au projet plus favorable chez les sympathisants de droite (notamment chez ceux de l’UMP).
Par ailleurs, un focus réalisé par l’Ifop sur les trois grandes régions du Nord-Ouest que sont la Bretagne, les Pays de la Loire et la Basse-Normandie confirme la tendance nationale. Quelle que soit leur région d’appartenance, Ligériens (66%), Bas-Normands (58%) ou Bretons (48%) expriment pour un grand nombre d’entre eux leur volonté de conserver « la situation actuelle » et rejettent un éventuel rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne ou la fusion des Pays de la Loire et de la Bretagne d’une part, des deux Normandie d’autre part, voire même de la réunion des trois régions (seulement 6% d’avis favorables).
Si cette proposition du Comité suscite une opposition certaine de la part des Français, en revanche, les jugements semblent plus cléments s’agissant de la proposition n°2 dont le but est de « favoriser les regroupements volontaires de départements par des dispositions législatives de même nature que pour les régions ».
Le département devancé par un attachement plus prononcé à l’égard du pays et de la région…
Sur cette deuxième proposition, le sondage Opinion Way laisse apparaître une réticence moins prononcée de la part des Français qui semblent-ils accepteraient davantage des redécoupages départementaux. Ainsi, près des deux tiers d’entre eux (64%) se prononcent en faveur d’un regroupement volontaire des départements dont près d’un quart se dit même « tout à fait favorable ».
Plusieurs mesures récentes de l’opinion sur le sujet laissent à penser que les Français se sont quelque peu détachés de l’échelon départemental. Ainsi à la question posée en février par l’institut CSA « selon vous, quelle institution doit disposer de plus de pouvoirs », c’est la région qui recueille le plus de citations (55%) contre 42% pour le département. Par ailleurs, en octobre 2008, au cœur du débat sur la réforme du système d’immatriculation, les personnes interrogées par l’Ifop répondaient à la question « vous personnellement vous sentez-vous le plus attaché à la France, à votre région, à votre département ou à votre commune ? ». C’est le sentiment d’appartenir à la France qui prédomine avec 40% de citation, tandis que seule une personne sur dix (10%) se définit avant tout par l’attachement à son département. La commune arrivait en seconde position avec 34% de citations, suivi de la région (16%). A noter sur cette question, que ce sont les personnes vivant au cœur de l’agglomération parisienne qui se définissent avant tout par leur attachement au territoire français, tandis que leur sentiment d’appartenance au département se révélait pour le moins minime (6% de citations).
… mais qui constitue pourtant une institution locale dont il semble difficile de se séparer
Pour autant, il apparaît bien que cet échelon départemental constitue un élément important dans le cœur des Français, une majorité d’entre eux (59%) se déclarait en octobre 2008 opposée à leur suppression, proportion qui atteignait 65% chez les habitants des communes rurales et des agglomérations de 2 000 à 20 000 habitants. Plus récemment, près des trois quarts des interviewés (73%, 77% dans les communes rurales, contre 66% dans l’agglomération parisienne) continuait à se revendiquer attachés à leur département (dont 38% « très attachés »).
Le débat autour de la nouvelle immatriculation des véhicules a révélé, voire matérialisé l’attachement des Français et des élus au département. Prévue pour 2006 puis pour 2008, c’est finalement à compter du 15 avril 2009 que la réforme des plaques minéralogiques entrera en vigueur pour les véhicules neufs. Ces derniers recevront une nouvelle immatriculation qui conservera finalement l’identifiant territorial composé d’un numéro de département au choix, surmonté du logo de la région associée. Sous la pression de collectifs d’élus et de citoyens tels que « gardons nos numéros» ou « Jamais sans mon département » et de l’opinion qui à de multiples reprises s’est exprimée en faveur de la conservation d’une référence territoriale sur les véhicules, le gouvernement est finalement revenu sur son projet initial. A l’époque en effet, 71% des personnes interrogées déclaraient regretter la suppression envisagée du numéro de département d’origine sur les plaques dont 33% simplement parce qu’ils se déclaraient attachés au numéro de leur département, et 38% qui avouaient trouver cette mention utile « pour identifier et reconnaître les autres voire organiser des jeux avec leurs enfants ». En juin 2008 selon un sondage CSA , ce sont plus des deux tiers des français qui jugeaient cette suppression comme étant une mauvaise chose. Futile ou utile ce débat sur les plaques minéralogiques, il n’en demeure pas moins que le département apparaît aujourd’hui comme une vraie composante identitaire des Français qu’il semble aujourd’hui bien difficile d’ignorer voire même de réformer.
Etait-ce vraiment le bon moment ?
La question peut effectivement être posée tant les préoccupations des Français s’expriment actuellement sur un tout autre registre et oscillent entre crainte pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat, pour le logement, l’accès aux soins, etc. Aussi dans ce contexte, il apparaît peu surprenant que seule une minorité (16%) juge aujourd’hui cette réforme des collectivités prioritaire contre 37% qui la considèrent « importante mais pas prioritaire » et près d’un sur deux (47%) qui la qualifie de « secondaire » . Autrement dit, à l’heure où le gouvernement mise sur le volontariat et des consultations par référendum pour installer son projet, il est fort à parier que sa mise en œuvre s’inscrira sur du très long terme.