Après Fredéric installé au Québec et Nicolas, qui poursuit son voyage en Amérique du sud, The Green PostBox.com à le plaisir d'accueillir une nouvelle invitée. Muriel Kakani est francophone (de Belgique) et vit en Inde depuis plus de 15 ans. Elle est l’auteur d’une série de livres illustrés intitulée ‘The Ecological Tales of India’ écris pour conscientiser les enfants aux problèmes écologiques de l’Inde. Vous devriez retrouver de temps en temps les "chroniques écologiques" de Muriel sur The Green PostBox.com.
Les fleurs de jasmin tressées en colliers, les soucis de couleur safran, les tuberoses aux senteurs exotiques, les hibiscus rouges écarlates… tant de fleurs qui ajoutent couleur, brillance, luminosité, parfum et joie aux nombreuses festivités de l’Inde. Aujourd’hui, l’Inde fête un de ses festivals les plus importants : le Holi ou festival des couleurs.
Le festival des couleurs en Inde (photo:Julien Minard)
Lors de cette fête hindoue qui marque le début du printemps, les gens se barbouillent les uns et les autres de poudres pigmentées. Comme tous les autres festivals de l’Inde, le Holi célèbre la biodiversité et jusqu’il y a peu, les couleurs utilisées pour jouer le Holi était fabriquées à partir des fleurs et plantes de saison...
Ainsi le Holi coïncide avec la floraison du Palash ou Flamme de la Foret (Butea monosperma), un des arbres les plus spectaculaires des plaines arides du Nord de l’Inde. Au moment de la floraison, l’arbre dénudé de ses feuilles, se pare d’une multitude de fleurs d’un rouge des plus éclatants. Traditionnellement, les fleurs du Palash sont séchées pour être ensuite pulvérisées et obtenir une poudre vermillon avec lequel enfants et adultes se badigeonneront. En avril, dans les forêts de Shaal (Shorea robusta) de l’Est de l’Inde, les populations tribales célèbrent un festival appelé Sarhul ou ‘bouquet de fleurs’. Ce festival qui consacre le début d’une nouvelle saison agricole, ne se célèbre qu’après la floraison des arbres Shaal quand le parfum de leurs fleurs imprègne la forêt d’une fragrance suave. Après avoir déposé les offrandes de fleurs Shaal aux pieds de la divinité du village, le prêtre ou pahan présente à chaque villageois ces fleurs symboles de fraternité et d’amitié. Les femmes, mais aussi les hommes, adornés de ces fleurs blanches chanteront et danseront toute la nuit.
Plus tard dans l’année, dans le Sud de l’Inde, plus précisément dans le Kerala, les Malayalis célèbre Onam, le festival de la moisson qui durera 10 jours. Onam est une opportunité pour les femmes d’exhiber leurs talents artistiques en confectionnant de somptueux tapis de fleurs circulaires ou Atha Pookalams posés devant les maisons en signe de bienvenue. Tout d’abord pour réaliser ces chefs d’œuvre floraux, il faut des kilos de pétales fraîches. Dans le temps, tôt le matin, les enfants se levaient pour aller a la cueillette des fleurs avec leurs ‘Pookuda’ ou paniers. De nos jours, les fleurs de jardin se faisant rares, elles s’achètent au kilo sur le marché. La fleur la plus utilisée est Lucas Aspera car elle est de petite taille et scintille avec les rayons du soleil. Cette fleur est aussi considérée la fleure favorite du dieu Shiva.
Les couleurs flamboyantes du Palash
Très loin du Kerala, dans l’Himachal Pradesh, se célèbre un autre festival de la fleur : le Phulaich festival de Kinnaur. Selon la tradition, dix Rajputs (caste supérieure) vont à la cueillette des fleurs sauvages dans les montagnes. Les fleurs les plus exquisites sont sélectionnées pour ornementer la divinité du village.
Que ce soit Holi, Onam, ou Phulaich, toutes les fêtes et célébrations de l’Inde se garancent de fleurs. Un mariage n’est pas célébré sans un échange de guirlandes de fleurs (qui peuvent être terriblement lourdes et encombrantes) entre les futurs époux. Le costume d’une danseuse de Bharatanatyam n’est pas complet sans ornementer sa coiffure d’une parure florale. Une visite au temple ne se conclut pas sans avoir déposé quelques fleurs aux pieds des dieux et déesses. Une demeure n’est pas considérée auspicieuse sans une guirlande de soucis accrochée au-dessus de la porte d’entrée.
Les guirlandes de soucis sont les guirlandes les plus prisées pour décorer les temples, et guirlander les dieux. La couleur safran, couleur sacrée, fait du souci une fleur auspicieuse.
Malheureusement, les fleurs traditionnelles de l’Inde, sont négligées, dépréciées et courent le risque de se voir remplacées.
Par qui??
Par des fleurs bien plus modernes: les fleurs coupées.
En effet, après la Colombie, l’Equateur, le Kenya, le Zimbabwe, la Tanzanie et l’Ethiopie, c’est l’Inde qui se lance dans la production intensive des fleurs coupées pour l’exportation. Selon l’APEDA (Agricultural and Processed Food Products Export Development Authority - India), l’industrie des fleurs coupées rapporte plus par unité de superficie que les fleurs traditionnelles et que la plupart des cultures de subsistance. Non seulement les fleurs coupées rapportent plus mais elles rapportent des Euros ou des Dollars. L’industrie floricole est désormais présentée comme une panacée aux problèmes économiques du pays car elle offre la possibilité de revenus en devises étrangères, chose très important pour l’Inde qui se retrouve en troisième position après le Brésil et le Mexique dans la liste des pays les plus endettés du monde.
Ce leurre pour les devises étrangères contraint l’Inde à encourager la culture intensive des fleurs coupées, une activité agricole très polluante, au détriment de la culture plus écologique et plus durable des fleurs traditionnelles.
Tandis que les fleurs indiennes ne demandent ni pesticides, ni engrais, ni serre car elles poussent à profusion dans les champs, les fleurs coupées sont très exigeantes. En effet, les roses, les chrysanthèmes, les anthuriums… requièrent des températures constantes qui n’existent qu’à l’abri des serres. Vous comprenez, ces fleurs pompeuses ne supportent pas les vents, les changements soudains de températures, et les pluies. De plus, ses fleurs, trop belles pour être vraies, exigent des quantités abusives de pesticides généralement classifiés de dangereux et interdits depuis longtemps en Europe. L’activité florale est aussi consommatrice de grandes quantités d’eau et mène à une raréfaction des sources d’eau dans des régions déjà semi-arides.
Alors que tout est fait pour maintenir ces fleurs privilégiées en excellente forme, rien n’est fait pour la santé des travailleurs. Comme partout ailleurs, les conditions de travail dans les serres indiennes sont peu enviables : salaires minimums, aucune protection vestimentaire tels que masques ou gants, aucun avertissement sur le danger des produits manipulés et bien sur aucune sécurité sociale.
De plus, l’industrie floricole avec son infrastructure très spécialisée (serres à air conditionné, systèmes de réfrigération, pulvérisateurs, arroseuses à jet tournant…) exige d’immenses fermes industrielles de plusieurs hectares pour être rentable. Généralement les meilleures terres sont acquises par ces sociétés de l’agro-industrie, forçant les petits exploitants à immigrer vers les villes.
De plus en plus de terres fertiles qui auparavant produisaient des cultures vivrières sont désormais consacrées à la production des fleurs coupées. Une étude réalisée par Dr TN Prakash et Dr Tejaswini de l’ Université des Sciences Agricoles de Bangalore montre que 4 274 tonnes de grains et 200 000 jours de travail peuvent être générés si le capital employé dans un hectare de culture de roses est dirigé vers la production d’aliments de base. Avec les devises étrangères que rapporte la culture d’un hectare de rosiers, seulement 1 256 tonnes de grains peuvent être importées – démontrant ainsi clairement la non viabilité et la non durabilité de l’industrie florale (Source : D. Sharma, Selling out: the cost of free trade for India’s food security)
Pour nourrir sa population d’un milliards d’êtres humains, l’Inde a besoin d’une agriculture de conservation c’est-à-dire une agriculture en mesure de nourrir sa population. Avec les taux de productivité agricole qui risquent bien de reculer (certaines études parlent d’une chute de 30% à 40% de la productivité agricole) du aux changements climatiques, plus que jamais l’Inde doit miser la conservation de ses ressources pour la satisfaction des besoins fondamentaux. Vous avouerez que privilégier l’industrie d’exportation des fleurs coupées au détriment de la sécurité alimentaire est une recette plutôt désastreuse !
Non seulement la floriculture intensive crée des aberrations économiques et écologiques, elle a aussi des répercussions culturelles néfastes. Maintenant que l’Inde cultive les fleurs coupées, une partie de la production reste sur le marché local créant ainsi de nouveaux besoins. Les indiens sont de plus en plus nombreux à fêter la St Valentin, ou à la fête des mères avec des bouquets de fleurs. Maintenant, ce sont les chrysanthèmes, les anthuriums, les carmines… qui régalent les yeux. Ainsi, ils sont 15% de plus chaque année à vouloir de ces fleurs de serre.
Le problème est qu’avec la popularité grandissante des fleurs coupées, la demande pour les fleurs indiennes est en baisse. Pour combler ce creux, l’Inde se lance dans l’exportation de ses fleurs traditionnelles. Comme le dit Dr. Ramakrishnappa, directeur d’Horticulture, Bangalore: « Nous devons explorer le marché international pour exporter nos fleurs traditionnelles vu la chute de la demande pour ces fleurs ici en Inde…» (Source : The Hindu). Ainsi à la foire internationale d’Amsterdam en Octobre 2008, une dizaine de femmes indiennes démontraient à la clientèle internationale la confection des guirlandes de soucis.
Il se peut que d’ici quelques années, ce seront des guirlandes de souci que les français échangeront à la St Valentin, tandis qu’ici en Inde, les dieux hindous se verront offrir des bouquets de chrysanthèmes. Très intéressant cet échange de fleurs mais pas très durable !! Article redigé par Muriel Kakani (Inde)website: www.ecologyforchildren.in