Coeurs de braises

Publié le 16 mars 2009 par Boustoune


Le premier plan montre une caravane en feu, en plein désert du Nouveau-Mexique. A l'intérieur se trouvaient Gina et Nick, qui entretenaient tous deux une relation adultère. Mariana, la fille de la première, et Santiago, le fils du second, se rencontrent lors des funérailles et tombent peu à peu amoureux. Loin de cette terre aride, dans les environs de Portland, Sylvia, une femme d'une trentaine d'années, cumule les amants d'un soir et s'inflige de curieuses blessures. Elle semble suivie par un homme, un mexicain... Qui est-il ? Que cherche-t-il ? Les histoires, racontées en parallèle, sont liées et vont se finir par converger.
  
Cette construction narrative complexe et fluide en même temps ressemble aux films d'Alejandro Iñarritu ? C'est normal... Loin de la terre brûlée est le premier long-métrage de Guillermo Arriaga, qui a scénarisé tous ses films, et qui est également l'auteur du très beau Trois enterrements. Autant dire que ce script est une nouvelle fois absolument parfait, réussissant le petit miracle de nous faire croire à des histoires assez improbables.
La mise en scène est en revanche un peu plus faible, peinant par moments à insuffler de la densité au récit. On sent qu'Arriaga a beaucoup appris auprès de son compatriote Inarritu, notamment au niveau de l'utilisation du cadre, mais il n'arrive pas encore à son niveau. C'est surtout au niveau du rythme que cela coince. Le film n'est pas dénué de longueurs, qui laissent le temps au spectateur de deviner les différents virages narratifs. Dommage...
  
Mais malgré ses menus défauts, le film est cependant très réussi. Arriaga a soigné son esthétique pour qu'elle soit en phase avec les thématiques abordées. Il oppose les tons bleus-gris de Portland avec la luminosité flamboyante du Nouveau-Mexique. Un contraste qui joue sur la notion de frontières. Celle entre les Etats-Unis et le Mexique, point de rencontre des personnages, lieu où se nouent les amours interethniques, centre du récit. Mais aussi des frontières intérieures, invisibles, ces barrières psychologiques qui bloquent les personnages, les empêchent d'avancer et de s'épanouir. Les tabous, les peurs profondes héritées de l'enfance, le poids du passé,...
Gina est partagée entre l'affection qu'elle porte à son mari, à ses enfants, mais est en manque d'amour physique. Elle a besoin de se sentir désirée, d'oublier son âge et les traces d'une maladie qui l'a privée d'une partie d'elle-même. Sa fille, Mariana, cherche à tracer sa propre voie, à écrire sa propre vie, quitte à défier l'ordre établi et l'autorité parentale. Mais à quel prix ?
Maria, une fillette mexicaine, en est le contrepoint. Elle recherche une présence maternelle, elle qui a été abandonnée à la naissance. Enfin, Sylvia souffre d’une certaine solitude, mais elle est incapable de s’engager avec quelqu’un de construire quelque chose de durable. Elle fuit dans des aventures sans lendemains, la plupart du temps avec des hommes mariés, comme pour mieux s'humilier, se blesser. Quatre personnages féminins, quatre destins, et autant de plaies mal cicatrisées, de feux mal éteints...

Le feu est d'ailleurs au coeur de cette histoire, en tant que symbole de destruction, mais aussi de passion amoureuse. Là encore, le cinéaste joue sur le contraste avec l'eau – superbe séquence où un des personnages se trouve face à l’océan, être minuscule face à une nature déchaînée – mais on peut aussi compléter le tableau avec les autres éléments, évoqués malicieusement par l’auteur. En fait, les quatre personnages féminins principaux peuvent être rattachés à un élément différent : Gina représente la terre, celle où la caravane était posée, celle qui volait sous les roues de sa voiture quand elle allait rejoindre Nick, celle, aussi, où son cadavre est enseveli. Mariana représente le feu, celui qui l’a privée de sa mère, celui avec lequel elle se brûle pour sceller sa rencontre avec Santiago. Sylvia symbolise l’eau, celle qui domine près de son lieu de résidence, celle de ses larmes amères… Enfin, Maria symbolise l’air, par sa légèreté enfantine, mais aussi parce que son père est pilote d’avion…

On le voit, les rôles ont été particulièrement bien écrits, ciselés jusque dans les moindres détails. Il ne restait plus qu’à trouver les interprètes qui sauraient les incarner, mais surtout leur insuffler une âme. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Guillermo Arriaga a eu du flair.
Les deux jeunes actrices sont formidables de spontanéité et d’intensité, avec une mention spéciale pour Jennifer Lawrence, troublante Mariana, visage d’ange abritant un magma d’émotions contradictoires. On saura gré au cinéaste d’avoir lancé sur grand écran cette actrice prometteuse – prix de la révélation féminine lors de la dernière Mostra de Venise.
On lui saura également gré d’avoir permis à Kim Basinger d’effectuer un come-back remarqué, en lui offrant l’un de ses plus beaux rôles. L’actrice, dont la dernière grande performance remonte à plus de dix ans (L.A. Confidential) est ici rayonnante, toujours aussi désirable – à la voir dans ce film, on peine à croire qu’elle est âgée de 56 ans… - et bouleversante dans certaines scènes.
  
Et bien sûr, il y a Charlize, la divine Charlize Theron. Un corps de rêve, un visage exquis, des yeux dans lesquels ont pourrait se noyer… et un véritable talent d’actrice, qui lui a déjà valu un Oscar (pour Monster, en 2004) et qu’elle confirme de film en film, à l’aise dans les grosses productions comme dans de petits films plus intimistes. En confiance devant la caméra de Guillermo Arriaga, elle se met encore une fois à nu, au sens propre comme au figuré, et livre un superbe portrait de femme au bord du gouffre, brisée et tourmentée par les ombres d’un passé trop lourd pour elle. Sans artifices et toujours avec la générosité et l’humilité qui la caractérisent.
Grâce à ce casting magnifique, et à son incroyable talent de conteur, Guillermo Arriaga réalise un premier film dense, fort et résolument teinté d’espoir. Loin de la terre brûlée est à l’image de sa dernière séquence : un habile et très fluide enchevêtrement de petites histoires reliées les unes aux autres, qui débouche sur une belle dose d’émotion.
Note :