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Uzodinma Iweala : Bêtes sans patrie

Par Gangoueus @lareus
Uzodinma Iweala : Bêtes sans patrieJe suis lancé sur une bonne série de bouquins depuis le début de l’année. J’ai presque envie de dire, malheur à celui qui viendra interrompre cette littérature pétillante que je déguste ces derniers temps : il se prendra une critique sévère et méchante.
Nouvelle touche
Ce premier roman du jeune auteur américain (23 ans à la publication), Uzodinma Iweala, est tout simplement une merveille. Pourtant, il traite d’un sujet délicat, pour certains rebutant, à savoir la question des enfants soldats. En s’engageant dans cette thématique, Iweala n’explore par un terrain vierge, d’illustres prédécesseurs comme Ahmadou Kourouma (Allah n’est pas obligé), Emmanuel Dongala (Johnny chien Méchant) ou Ken Saro-Wiwa (Sozaboy) ont abordé ce sujet avec beaucoup de talent. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que l’auteur américain apporte une touche particulière. D’abord, contrairement à Dongala ou Kourouma, seule l’itinéraire dans le conflit armé d’Agu, l’enfant qui livre ici son monologue, intéresse Iweala. Le texte n’est pas un prétexte pour évoquer l’évolution historique d’un pays en guerre. L’auteur ne s’autorise pas à des digressions de ce genre. Il suit l’embrigadement d’Agu au sein d’une milice d’enfants soldats dirigés par un commandant qui a droit de vie ou de mort sur chaque élément de sa troupe. Agu subit un processus de déshumanisation dont l’objectif est de le rendre insensible à la cruauté des actes qui lui sont imposés. Il s’enfonce dans la guerre.
Massacre à la tronçonneuse
Vous avez vu le film ? Non ? Moi non plus ! Mais, j’aime bien cette idée pour décrire la style de l’écriture d’Iweala qui est la deuxième qualité (sinon sa première ?) de son texte. Massacre à la tronçonneuse. Aux puristes et aux ayatollahs du respect de la langue française, s’abstenir. Je me demande ce que donne le texte dans sa version américaine, mais j’imagine – en m’appuyant sur ses propres déclarations - que le romancier Alain Mabanckou qui a fait ce travail de traduction a du prendre un plaisir intense. La langue française prend des coups dans tous les sens. Certains mots sont tronqués, la structure des phrases est boiteuse. Je me suis intérieurement demandé pourquoi Iweala usait de ce procédé. Après tout, la charge émotionnelle qu’il arrive à communiquer à son personnage aurait pu se passer de cet artifice littéraire. Et, on peut en plus supposer le monologue d’Agu dans une langue maternelle traduite. Permettant une suppression des aspérités sur la langue d’écriture. En même temps, la scolarité brutalement interrompue excuse ces règles de grammaire bafouées, ces fautes d’orthographes mises en scène et finalement le lecteur du monologue de l'enfant soldat… Il faut prendre le temps de s’acclimater à son parler pour entendre ce qu’Agu a à dire.

Magnifique incarnation
C’est un texte qui laisse songeur. Iweala qui est le fils d’une grande femme d’état nigériane et qui est né et a principalement vécu aux Etats-Unis prouve une fois encore que la littérature est une question de sensibilité à un sujet. Loin géographiquement de cette Afrique violente, il est au cœur de ses ténèbres, au cœur de ses guerres dont on sait comment elles commencent, leur noble motivation, mais qui au final mettent au supplice des milliers, des millions d’enfants raptés, drogués, violentés, brisés à jamais, qui combattent juste pour continuer de vivre, non survivre, et dont on n’hésite pas à se débarrasser une fois le conflit terminé. Comme une mouchoir à usage unique. Iweala ne joue pas uniquement avec les mots, il dit les maux.
Un texte fort à découvrir.
Uzodinma Iweala, Bêtes sans patrie
Edition de l’Olivier, 1ère parution 2005, 176 pages
Titre original : Beasts of no nations
Traduction : Alain Mabanckou
Photo Uzodinma Iweala, copyright © 2008 Beowulf Sheehan/PEN Voir un interview d'Alain MabanckouDe nombreuses critiques de presse sont consultables au sujet de ce texte.A l'ombre du cerisierTéléramaCulture au poingWodka

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