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J'aimerais redevenir prof. Maître auxiliaire plus exactement. Je sais que je n'aurai pas grand mal à trouver une place, même sous forme de remplacements à droite à gauche : des diplômés à bac+3 minimum qui s'éreintent toute la semaine, soirées et week-ends compris, sans parler des vacances, et ce avec expérience tout en ayant plus de 23 ans (pour l'autorité), pour le modique traitement de 1 200 euros par mois, ce n'est pas si facile à trouver.
Ca me casse un peu les pieds de bosser autant pour un peu plus que le smic. Autant faire un boulot stupide, qui ne m'oblige pas à me décarcasser à la maison, où m'attendront de toute façon pas mal de choses à faire jusqu'à minuit. Une assistante commerciale avec juste le bac gagne plus qu'un maître-aux. Les jeunes profs arrivent tout juste à égaler l'assistanat, avec environ 1 500 euros. Un prof confirmé de ma connaissance, avec mettons, quinze ans d'expérience, et une maîtrise je crois, si ce n'est un DEA, gagne 2 200 euros par mois. Peut-être fait-il des heures sup, ou bien touche-t-il de petits dividendes en étant par exemple prof principal ou que sais-je. Eh bien mon "pauvre" copain ne pourrait vivre que dans une chambre de bonne à Paris, et compter chaque sou pour vivre. Il vit dans le sud, dans une maisonnette à plus de 700 euros par mois : une fois les factures et la nourriture payées, sans parler des impôts, il n'a pas intérêt à faire d'écarts.
Je suis peut-être naïve, mais enfin ce métier est complètement dévalorisé.
En tant que maître-aux. travaillant à temps plein, mon salaire ne règlerait même pas le loyer que nous avons ici, à Verte-Ville. Mais enfin, me direz-vous, ce serait tout de même un salaire. Oui, mais un dur travail aussi.
Les profs se plaignent beaucoup et je ne les y encourage pas. Personnellement, il ne m'a pas fallu longtemps pour ne pas persévérer dans cette voie (j'aurais pu, on m'avait proposé une année complète de remplacement juste après ma fameuse première et dernière année scolaire.) Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que je n'allais pas tout assumer de front : un travail éreintant et intellectuellement demandeur, un public un peu "spécial", pour ne pas dire folklorique, des horaires pas évidents, un salaire de peccadilles que mes frais pour faire garder mon fils aîné dépassaient déjà, avec les charges patronnales, hors impôts. J'aurais pu m'accrocher bénévolement, pour ne pas perdre l'avantage de mes études qui demandent quand même un certain sacrifice elles aussi : même si les études littéraires en fac sont tellement dévalorisées, même si le niveau général n'est pas brillantissime, ils ne vous les donnent pas, les diplômes. J'ai le souvenir de certaines nuits blanches et de pas mal de journées penchée sur des cours surlignés, une feuille de brouillon à côté pour gribouiller frénétiquement le vocabulaire spécialisé et les dates que je voulais apprendre.
Mais les choses étaient ce qu'elles étaient : le boulot de prof était très mal payé, et je n'allais pas travailler gratuitement pendant des années dans l'espoir de devenir peut-être un jour fonctionnaire.
Et donc depuis je me plains de ne pouvoir exercer le métier pour lequel je me suis quand même entraînée pendant cinq ans de ma vie, ignorante des vrais coûts de la vie réelle hors statut d'étudiant, ce qui ne m'empêche pas de ne pas encourager les profs à se plaindre. Parce qu'ils se rendent malades pour rien. Leurs problèmes viennent souvent, à mon avis, d'une inadéquation entre le monde d'avant d'après les critères duquel on recrute encore les enseignants du secondaire, et le monde de crise dans lequel nous vivons depuis une paire de dizaines d'années. Il faudrait qu'ils se rendent compte très vite, dès les études, qu'on ne les prépare guère au vrai boulot de prof. De petites jeunes filles modèles aux cheveux et à la voix lisses se retrouvent face à trente mômes de quinze ans, la moitié non francophones, traînant des problèmes familiaux à mourir et refusant l'autorité comme un seul homme. Et on continue à traiter ces jeunes selon les critères du monde d'avant.
Une des meilleures marques de cela est le cirque que l'on a fait à propos du prof nordiste ayant giflé un élève l'ayant traité de "connard". Il est scandaleux qu'il ait été stigmatisé, et même condamné. Il est incroyable que personne ne se rende compte à quel point de nombreux jeunes sont violents et non canalisés par quoi que ce soit. Evidemment, ce n'est pas le moment de rétablir les châtiments corporels et tutti quanti de l'époque pré-68. Mais les mômes, de manière générale, appellent la limite; une bonne fessée est souvent tout à fait envisageable pour pas mal de petits qui dépassent les limites, qui se mettent en danger. Et dépasser les bornes en société les met également en danger. En tant que prof cela me ferait mal au coeur de me faire mettre au piquet sous prétexte que je remettrais un jeune à sa place, qui m'aurait insultée ou frappée. Ca lui rendrait service et m'éviterait un ulcère à l'estomac (dont la société devrait -encore- payer les soins.)
J'aimerais me remettre à enseigner, cependant. J'aimais ça, préparer mes cours, lire pour mes élèves, expliquer le sens des textes,... Même si je gardais mon manteau pour ne pas me faire siffler les fesses quand j'écrivais au tableau. Même si j'entendais parfois de grands "salopes" à mon approche dans les couloirs. Même si j'ai dû une fois coller une classe entière de première trois samedis matins de suite parce qu'ils refusaient de se calmer et que les délégués de classe avaient refusé d'aller chercher les surveillants. Même si un de mes doux dingues avait essayé de mettre le feu à un de mes cours, tandis que son voisin de table se patchait la tronche avec les produits de beauté piqués à ses soeurs.
Et bon an mal an, je les faisais lire. Je leur filais des points pour tout compte-rendu devant la classe d'un bouquin (niveau cinquième, pour des secondes!) figurant dans ma liste. Je leur filais aussi des points supplémentaires pour tout travail remis à temps. Je remplaçais un congé de maternité : ma directrice m'avait dit que la titulaire dont j'assurais le remplacement venait d'avoir son Capès, et que donc "c'est comme ça qu'il fallait faire." Quand j'ouvris son cahier de textes, je me trouvais face à une grosse écriture bleue enfantine, proposant un petit programme type école primaire à de grands adolescents, presque des adultes. Non, je ne pouvais pas "faire ça". En échec scolaire, d'accord, des idiots, non.
"Ouoohhh modame on n'est pas à la fac ici!!" eus-je le droit à de temps en temps, dans ma classe de première. Mais au moins on ne se faisait pas chier avec les participes passés. Ma méthode était simple : les faire lire à donf, respecter peu ou prou le programme et m'arrêter dès qu'une notion n'était pas captée (ignorée depuis toujours devrais-je dire) pour déblatérer toute seule et leur farcir la tête de culture générale : "Vous ne comprenez pas l'expression "Europe des Lumières? Attendez voir j'vais vous raconter tout ça." Je les faisais parler aussi, ce n'était pas un cours magistral, mais j'avais souvent besoin d'un décodeur, comme la jeune prof que j'ai rencontrée hier chez des amis, qui s'est trouvée devoir expliquer ce qu'était un "engouement" pour quelque chose à des lycéens, comme dans l'expression "l'engouement des français pour le Tour de France". Après plusieurs circonvolutions explicatives, le môme s'est éclairé :
" Ouobéh c'est l'kiffage !?"
...
Oui, sûrement, mais c'est quoi le kiffage?
Moi je venais du Poitou, pas d'une banlieue parisienne. J'ignorais le kif, le taf, le rebeu, la daronne, la meuf, et tout leurs dictionnaires. C'est assez intéressant d'ailleurs de voir éclore une nouvelle langue. Mais enfin, je ne la connaissais pas, et je ne comprenais pas bien mes élèves, ou l'inverse.
A force, ils comprirent que j'aimais vraiment ça, lire, que je passais mes week-ends à ça; je ne faisais pas semblant.
"Chacun a ses goûts différents", finis-je par entendre d'un ton philosophe d'un jeune type que je n'aurais pas voulu rencontrer au fond d'une cave.
Bon, j'ai également entendu le coup de poing dans l'armoire métallique d'un autre que j'avais passablement énervé. J'ai appelé sa mère, à celui-là. J'appelais beaucoup les parents.
Je me souviens qu'une mère m'a expliqué qu'elle souhaitait que sa fille se détende après sa journée. C'est pourquoi cette dernière avait la télé dans sa chambre. Je lui répondis en pure perte que sa pouliche était bien gentille et bien calme, mais qu'elle devait se mettre à bosser ses cours un peu tous les soirs, point barre. Que rater son brevet et redoubler sa troisième n'allait détendre personne dans la famille.
Mais non.
Après mon départ en mai, alors que la titulaire revenait de son congé pour le mois tranquille de stages en entreprise des élèves tandis que je repartais dans ma chambre de cité U, un collègue m'a dit que mes troisièmes avaient eu "d'excellentes notes" au brevet. Je n'avais même pas pensé à m'en enquérir. La directrice, à mon départ, avait regretté de ne pas m'avoir "plus expliqué" quel était le "niveau réel" des élèves que j'aurais dû respecter. Je n'avais pas compris à qui j'avais affaire, quoi. N'empêche qu'ils avaient bossé, et eu (certains) de bonnes notes.
J'ai eu des nouvelles de plusieurs, depuis, pas de mon fait. Je suis restée peu de temps et les ai bien emmerdés. Mais j'ai su depuis que beaucoup se débrouillaient super bien. Des gens pratiques, de bons postes. Si ça se trouve, la plupart gagnent plus que mon futur salaire dix ans après après les faits. C'est bien ce que je pensais : agités, imperméables aux matières générales, beaucoup de lacunes familiales sérieuses, mais pas idiots du tout.
Tout ça pour dire que c'est un beau métier, l'enseignement, mais que le recrutement devrait changer. Selon moi il faudrait des gens aguerris par des expériences professionnelles préalables, avec une autorité naturelle. Il devrait y avoir plus d'hommes. Cela devrait être mieux payé. Le Capès actuel est bien trop théorique, voire du bourrage de crâne, en toute inutilité. Il faudrait des notes de pratique, de mise en situation. Avaler toute l'histoire du christinisme au Moyen-Age, par exemple, n'a jamais servi qu'à soutenir l'édition de ces ouvrages indigestes par les étudiants, bien obligés de passer à la caisse pour leur concours. Il faudrait peut-être une petite uniformisation des programmes des facs au niveau national, aussi, toujours en vue du concours. Par exemple, je suis sortie de cinq ans de fac d'histoire sans un cours sur la guerre d'Algérie, l'époque napoléonienne ou le monde depuis mai 68. Par contre, qu'est-ce que j'ai mangé sur les traités issus de la première guerre mondiale, le "beau" 16ème siècle, la Rome classique! Les facs font à l'économie,avec les spécialistes qu'elles ont sous la main. Et puis on arrive au Capès et on se fait laminer par les étudiants qui sont allés en classe prépa, qui ont reçu un vrai entraînement, eux, et qui, petit détail non insignifiant, ont fait aussi de la géographie quand vous avez fait des années de fac d'histoire dans une ville où les facs de géo et d'histoire se trouvaient à des kilomètres, quand il n'existait pas de Capès d'histoire seule mais d'histoire-géographie. Et j'ai ainsi découvert que malgré mon niveau moyen mais "correct" je n'étais pas du tout armée pour réussir un tel concours présentant un taux de réussite entre 5 et 10 %.
Bon tout ça c'est pour ma mère, si un jour elle passe par ici (peu de chances), qui n'a jamais compris que je n'aie pas eu ce foutu Capès malgré les 100 euros qu'elle m'allouait mensuellement pour que sa fille ait une carrière. Et qui n'a jamais réussi à m'en parler non plus, trop mortifiée peut-être? Prof, ça sonnait bien. Un bon salaire (2000 euros à tout casser!), la sécurité (à mourrir d'ennui!) Mais la pauvre n'a jamais su que je faisais plein de petits boulots à côté, malgré ma bourse, parce que vivre avec 400 euros par mois de 18 à 25 ans, c'est un peu short quand même. Avec 400 euros je pouvais m'habiller, payer ma chambre, acheter les livres d'histoire hors de prix et à foison dont j'ai parlé et réussir haut la main. Comme dit le jeune dealer dans "American beauty", "Il faut laisser rêver les idéalistes."
Certains ont réussi dans ces conditions, mais pas moi.
Tout ça pour que je rencontre hier cette jeune prof d'histoire, et qui a ma question pleine d'enthousiasme :
"Alors tu as réussi ton Capès?"
m'a répondu tristement : "Oui, malheureusement..." avant de m'expliquer que son seul espoir est de préparer un autre concours, en interne, pour se sortir de là.