Aujourd’hui, un billet de suivi. Un retour sur un sujet abordé dernièrement en passant par la réouverture du Musée d’Irak, à Bagdad, pour finalement aboutir à un texte d’Hugo. Si vous préfériez, du coq à l’âne.
En fin février 2009, un peu moins de six ans après l’invasion américaine de l’Irak, le Musée de Bagdad a réouvert ses portes. Au cours de cette longue période de fermeture, des spécialistes, enquêteurs, soldats, policiers et Interpol ont tenté de récupérer et restituer une partie des collections d’oeuvres assyriennes et babyloniennes, pillées, volées et ravagées durant les premiers jours de l’arrivée des troupes américaines dans la capitale irakienne. Si l’on croit à la Convention internationale de La Haye sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, l’obligation incombe à la puissance occupante… et protectrice.
Hélas, ce ne fut pas le cas en 2003. La mise à sac de la Bibliothèque et du Musée de Bagdad a eu lieu sous les yeux des troupes de l’envahisseur.
Un fait intéressant à retenir, le Musée de Bagdad est reconnu comme le 3e musée du monde en richesse des biens culturels de la Mésopotamie antique, après le British Museum de Londres et le Louvre de Paris.
Au cours de cette même semaine de février 2009, il y a eu des enchères et une mise en vente de la Collection YSL-Bergé au Grand Palais, à Paris. L’événement a été organisé par la Maison Christie’s de Pinault. Rappelez-vous de la polémique autour des deux têtes d’animaux en bronze ? Compte tenu de l’impossibilité à récupérer légalement les deux antiquités réclamées, par stratagème «Si vous ne nous les restituez pas, nous vous forcerions à vous les garder», un collectionneur chinois, Cai MingChao, a acheté les deux têtes le soir du 23 février, avant de déclarer son refus du paiement. On a su plus tard que Cai dirige une maison d’enchères située à Xiamen. Il est l’un des conseillers du Fonds du patrimoine national de Chine, un organisme paragouvernemental qui a pour but de récupérer des objets pillés au cours du 19e siècle par les puissances européennes.
N’est-ce pas toute une coïncidence que ces deux événements soient déroulés durant la même semaine?
- Et alors? diriez-vous, peut-être.
En fait, nous nous demandons simplement pourquoi personne ne s’est intéressé à ces deux événements conjointement et pourquoi l’histoire se répète malgré la succession des empires et des conventions internationales renouvelées.
Bref, nous vous laissons sur ce beau texte du grand Hugo que nous avons entendu parler depuis un bon moment sans que nous soyons capable de mettre la main dessus. Voilà, c’est fait pour nous et maintenant, en le partageant avec vous. Bonne semaine!
Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici. Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée, qui produit l’art européen, et la Chimère, qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’est pas, comme le Parthénon, une oeuvre rare et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle. Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été.
Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des Mille et Une Nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument.
Il avait fallu, pour le créer, le long travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? Pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes connaissent le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’oeuvre inconnu, entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur horizon de la civilisation d’Europe.
Cette merveille a disparu.
Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’oeuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.
Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L’Empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été.
J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate. Telle est, monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.