Obésité infantile, quand le moins d'Etat n'est clairement pas la panacée

Publié le 15 mars 2009 par Clal

Un de mes sujets courants est ce qui devrait ou ne devrait pas être du domaine du gouvernement et de la politique publique.

Alors que je lisais un excellent article sur la lutte contre l’obésité infantile aux Etats-Unis, un exemple de plus m’était donné.

Dans cet article Risa Lavizzo-Mourey, la CEO de Robert Wood Johnson, décrit les différentes initiatives entreprises par sa fondation, qui avec ses 8 milliards de dollars de dotation est la plus large fondation privée uniquement dédiée aux questions de santé.

Pour simple rappel des faits le taux d’obésité aux Etats-Unis pour les 6-19 ans (défini comme au-dessus du 95ème centile) est de 17% (nous parlons obésité ici, pas surpoids) et de 12,5% pour les 2-5 ans (!!). On parle d’épidémie d’obésité, non seulement à cause de la prévalence mais aussi à cause du développement épidémique des 20 dernières années. En 1980 ces mêmes statistiques étaient de 5% pour toute la tranche d’âge 2-19 ans.

Cela contraste avec les chiffres pour la France de 3.5 % pour les enfants de 3 à 17 ans, le taux le plus faible d’Europe avec la Suède et les Pays-Bas. Devinez, quel est le taux d’obésité infantile le plus élevé en Europe? La Grande-Bretagne, pays dont le mode de vie est le plus proche des Etats-Unis...

Pour vous dire un petit peu ce que la fondation Robert Wood Johnson fait: lutter contre la prise de calorie d’un coté, promouvoir la dépense de calorie d’autre part, avec plus d’importance donnée au premier volet étant donné qu’il est plus difficile de brûler 100 calories que d’absorber 100 calories.

Coté absorption de calorie: influencer le complexe agro-alimentaire pour qu’il se résolve à livrer des boissons plus saines dans les écoles en prouvant que le profit est le même qu’avec des sodas voire plus. Pousser pour plus d’informations calorifiques sur les menus afin d’enclencher un cercle vertueux: plus d’information calorifique pousse un peu les gens à faire des choix plus sains, ce qui à son tour pousse les restaurateurs à développer des menus plus sains. Financer l’installation de superettes avec fruits et légumes dans les centres ville (aux Etats-Unis, l’équivalent de nos banlieues) étant donné que ces quartiers n’ont plus généralement de magasins avec des produits frais. Les chaines ont ainsi découvert qu’il y avait du profit à faire dans ces zones déshéritées où le taux d’obésité est plus élève (lié au niveau de revenus), et où les gens auparavant se déplaçaient en banlieues pour faire leurs courses.


Des superettes avec des produits frais dans les quartiers désherités
Photo crédit Center for Alternative Medicine


Coté brûler des calories, la fondation subventionne un programme par exemple dont le but est de modifier les règlements des écoles en terme de recréation et d’éducation physique (sachant qu’aux Etats-Unis le financement et les programmes éducatifs sont du ressort de districts scolaires, autorités locales élues, la seule supervision de l’Etat ou du gouvernement fédéral étant dans la standardisation des tests de niveau).


Inciter les enfants à bouger
Image crédit Georgetown Hospital


Bon, maintenant contrastons avec la France et le plan national nutrition santé. Le premier volet a couru de 2000 à 2005 avec un bilan intermédiaire qui a déterminé les priorités du deuxième volet 2006-2010.

Les initiatives sont relativement similaires, mais les moyens très différents, avec une efficacité et des résultats différents (voir le contexte chiffré ci-dessus): suppression de la publicité pour certains aliments et pour certaines boissons sucrés pendant les programmes jeunesse, incitation au retrait des confiseries et des sucreries aux caisses des enseignes de grande distribution, nouvelles recommandations nutritionnelles pour la restauration scolaire.

Donc d’un coté nous avons une fondation privée, qui essaie de convaincre les entreprises privées qu’il est de leur intérêt de pousser des produits sains. D’un autre cote nous avons un gouvernement qui demande puis légifère si les négociations initiales n’ont pas suffi.

Je comprends que les Etats-Unis sont fondés sur la volonté de se départir des gouvernements oppressifs de l’Europe que les émigrants laissaient derrière eux. En conséquence le moins d’Etat il y a, le mieux c’est, et inversement, plus d’Etat équivaut au socialisme, qui est un gros mot aux Etats-Unis.


L'inauguration du canal Erié, ou comment plus d'Etat n'est pas nécessairement au détriment des entreprises
Image crédit Culver Pictures


Certes, mais je comprends aussi que les Américains sont des gens très pratiques, dont l’activité se mesure aux résultats et à l’efficacité uniquement.

Alors dites-moi qu’est-ce qui est plus efficace?

D’un coté, une fondation privée qui sélectionne et finance des programmes non-lucratifs pour tenter d’influencer des intérêts économiques privés, soit deux niveaux au moins d’ intermédiaires, chacun avec des frais de gestion et dont le seul mode d’intervention est l’influence.

D’un autre coté un gouvernement centralisé qui négocie puis légifère. Sans doute l’utilisation des fonds publics n’est pas toujours optimale, mais en termes de résultats pour moi il n’y a pas photos.

Alors pourquoi les Etats-Unis s’enferment-ils dans un système sub-optimal où le moins d’Etat est nécessairement la panacée? Personnellement j’y vois deux raisons.

Tout d’abord, pour certains capitalistes, il est clairement dans leur intérêt que l’Etat se mêle du moins de choses possibles (voir l’agro-alimentaire, les cartes de crédit, les prêts immobiliers, les assurances santé, les assurances en général, tout ce qui pollue, et la liste ne s’arrête pas la).

La seconde raison est ce que Matt Miller appelle dans son dernier livre les « Dead Ideas ». De quoi s’agit-il? Nous vivons parfois avec des convictions profondes avec lesquelles nous avons grandi et qui étaient alors justifiées. Mais alors que la réalité a évolué, nos convictions ne sont plus en phase avec la réalité actuelle et sont devenues contre- productives. Malheureusement nous avons un temps de retard à admettre que nos convictions qui nous ont servis nous desservent désormais. Il faut souvent une crise pour secouer notre inertie intellectuelle et briser le miroir.

Il semblerait en effet que la crise actuelle éveillent les Américains au fait que le moins d’Etat ne soit pas nécessairement la panacée.

Affaire à suivre donc...


Image crédit RacheWood.com