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L'iceberg Silvio Berlusconi

Publié le 15 mars 2009 par Jean-Marie Le Ray

Un parcours chargé, plein de mystères, d'inconnues et de questionnements. En somme, toujours en chantier, comme il se doit pour un bâtisseur de sa trempe. Je vais donc tenter de débrouiller un bout d'écheveau, uniquement à partir d'informations disponibles, dont une bonne part sont déjà écrites dans des actes judiciaires. Toutes du domaine public, certes, mais leur accumulation fait froid dans le dos.

Pour prendre une métaphore, le personnage et son histoire sont comme un gigantesque iceberg, avec une partie visible, faite de mensonges, de corruptions, d'intérêts inavouables, et une partie moins visible, qui s'enfonce dans de sombres profondeurs, faite d'encore plus d'omissions, de dissimulations, de silences assourdissants :
  • La partie émergée de l'iceberg
  • La partie immergée de l'iceberg

L'iceberg Silvio Berlusconi
Installez-vous, ça risque d'être long...

LA PARTIE ÉMERGÉE DE L'ICEBERG

Le 2 juillet 2003, Gianni Vattimo, député PSE au Parlement européen de 1999 à 2004, avait fait distribuer à tous les parlementaires un opuscule en 5 langues (italien, français, anglais, espagnol et allemand), sobrement intitulé "Berlusconi", rédigé à sa demande par Marco Travaglio & Peter Gomez, deux journalistes de pointe qui suivent Monsieur B. depuis des années.

L'iceberg Silvio Berlusconi
Le 2 juillet 2003 était aussi le jour où Silvio Berlusconi, président du Conseil des Ministres italien, présentait son programme sur la présidence italienne de l'Union européenne pour le semestre.

Or six ans plus tard, en juillet 2009, ce même Silvio Berlusconi s'apprête à recevoir les dirigeants du G20 au troisième jour des entretiens du G8, lors du sommet qui sera organisé à La Maddalena, en Sardaigne.

Avec au programme la mise en place d'un « cadre juridique » et de « nouvelles règles » pour remettre de l'éthique dans le système financier mondial !!! Outre des batteries de mesures pour sanctionner les paradis fiscaux.

Un projet ambitieux même pour ce parangon de la légalité et de la moralité, dont il serait peut-être temps de mettre à jour les - très - nombreuses péripéties judiciaires, en réactualisant le contenu de la brochure susmentionnée à la lumière des dernières évolutions. Commençons par là :
Dans une interview récemment accordée à El Mundo, Silvio Berlusconi précise que la Juge Nicoletta Gandus, qui a condamné Mills pour s’être fait corrompre par Monsieur B., est une militante de gauche et qu’on peut donc avoir des doutes sur son impartialité, en précisant : « Je suis absolument certain d'être innocenté lorsque le procès reprendra » ! S'il reprend...

Et d'ajouter : « Malheureusement, une partie de la magistrature italienne est politisée et a usé - et use - de son pouvoir comme arme de lutte politique contre ses adversaires, et en particulier contre le seul homme politique du centre-droit capable de l'emporter sur la gauche. Ces juges politisés ont tenté de renverser le résultat du vote démocratique et y sont mêmes parvenus, en 1994, avec une accusation dont j'ai été pleinement innocenté après dix ans de procès. » (en référence à la « fameuse » affaire de corruption de la Guardia di Finanza).

S'ensuit un record du monde qu'il est fier de souligner (entre 1994 et 2006, 789 juges ont enquêté et se sont prononcés sur Silvio Berlusconi, ce qui a donné lieu à 587 visites de police, judiciaire ou financière, et 2500 audiences), avant de conclure : « j'ai toujours été déclaré innocent, car heureusement, nous avons encore en Italie une majorité de juges impartiaux ».

Ce qui est bien évidemment totalement faux. Mais le fait marquant qui ressort de ce tissu de mensonges, ce sont les résultats d'ores et déjà obtenus après toutes ces années de campagnes contre les magistrats qui ont osé s'en prendre aux puissants pour tenter d'appliquer une loi égale pour tous, riches et pauvres inclus : tous ont été laminés ! Di Pietro a été forcé de quitter la magistrature à cause de chantages notoires exercés sur les dossiers des procès de Brescia, Clementina Forleo a été expulsée de Milan après s'être occupée d'Unipol, Luigi De Magistris a été chassé de Catanzaro pour avoir mis son nez dans des scandales politiques, judiciaires et criminels de la Région Calabre, les juges de Salerne de même pour avoir tenté de reprendre le dossier, etc. En bref, c'est la traduction du slogan emprunté à Mao et aux Brigades rouges : en frapper un pour en éduquer cent, en frapper deux, trois, cinq, sept, dix ou quinze pour en éduquer dix mille.

Donc heureusement qu'ils ne sont pas encore parvenus à éduquer les dix mille, car je peux vous assurer, par expérience personnelle (puisque j'ai très souvent été accusé dans des procès pour diffamation), qu'il reste encore beaucoup de juges scrupuleux et garantistes, qui étudient leur dossier ligne par ligne et vont au fond des choses pour éviter de commettre des erreurs. Y compris dans des tribunaux où l'on s'y attend le moins, comme Rome, une espèce de quai des brumes où nombre de dossiers s'enlisent dans le brouillard le plus dense...

Car indépendamment du lieu géographique et de l'altitude, la chose est aujourd'hui transversale et nous avons des quais des brumes dans tous les tribunaux, tous les ministères publics, où les magistrats qui veulent faire carrière ou plus simplement ne pas être trop dérangés jusqu'à leur retraite savent exactement ce qu'ils doivent faire.

Un bel exemple du résultat obtenu après quinze ans de massacres des juges courageux et honnêtes, de ceux qui essaient tout simplement d'agir selon les lois et la Constitution, dont ce qui se passe dans les procès au Cavaliere nous donne un signe clair et symptomatique.

Dans de très rares cas seulement, le Cavaliere a été jugé "innocent", comme il dit : sur 17 ou 18 procès, si je me souviens bien... il s'en est souvent tiré soit pour prescription, soit parce qu'en faisant voter des lois "ad hoc" il a dépénalisé ses délits, réduit de moitié les délais de prescription ou "ajusté" la législation à sa faveur comme dans le cas des faux en écritures comptables.
J'interromps ici l'explication de Marco Travaglio pour préciser certains points juridiques, utiles pour mieux comprendre le contexte.

La prescription ou l'amnistie ne signifient pas qu'on est innocent, mais plutôt qu'on est coupable des faits reprochés ! La première étant un mode d'extinction d'une action en justice avant l'expiration du délai fixé par la loi ou affectant une condamnation pénale pour empêcher que celle-ci ne soit exécutée lorsqu'elle n'a pu l'être durant les délais fixés par la loi ; et la deuxième une mesure décidée par le législateur pour ôter rétroactivement leur caractère délictueux à certains faits commis à une période déterminée (cf. Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, PUF 1987).

Un innocent n'a besoin ni de prescription ni d'amnistie. Quant aux absolutions, qui peuvent être de deux formes selon la justice italienne (formula piena : absolution totale, et formula dubitativa : absolution assortie de doutes...), ce sont techniquement des "décisions répressives d'un jugement", ou "exemptions de peines", qui ont pour effet d'exempter l'auteur d'un délit des peines principales normalement prévues par la loi. Là encore, à la base, pas d'innocent, mais un coupable.

De même, dans le cas de Berlusconi, les dépénalisations consistent à soustraire par la loi des agissements (d'abord les siens, et par voie de conséquence ceux des autres, malfaiteurs et truands en tout genre) aux sanctions du droit pénal. C'est ainsi qu'il s'est fait voter pas moins de 17 ou 18 lois en 15 ans, en théorie une par procès, mais qui visent surtout à protéger ses intérêts privés en conditionnant par la même occasion la vie quotidienne de près de 60 millions d'italiens, et moi et moi !

Piqûre de rappel des lois "ad personam" : Décret Biondi (1994), Loi Tremonti (1994), loi sur les commissions rogatoires (événement qui a même débouché sur un traité bilatéral entre la Suisse et l'Italie), loi sur les faux en écritures, lois Cirami, Maccanico, Schifani, Ex-Cirielli, Gasparri, décret pour sauver Rete 4 (troisième chaîne privée de Berlusconi, jugée abusive par les lois italiennes - avant que Berlusconi ne les retouche... - et la Communauté européenne), loi Frattini sur le conflit d'intérêts, lois de régularisations fiscales et environnementales, loi Pecorella pour abolir le procès d'appel à l'initiative du Ministère public, loi pour bloquer les procès aux 4 plus hautes charges de l'état, loi Alfano (définie "amnistie occulte" par le Conseil Supérieur de la Magistrature) et, à venir, loi sur les écoutes téléphoniques.

Ceci étant posé, revenons-en aux soit-disant "acquittements" de Berlusconi en reprenant l'opuscule cité en début de billet.
1. Faux témoignage sur la Loge P2

La Cour d'appel de Venise déclarait en 1990 Berlusconi coupable de fausses déclarations sous serment devant le tribunal de Vérone à propos de sa participation à la "loge P2". Mais ce délit est couvert par l'amnistie de 1989. Interrogé sous serment Berlusconi avait affirmé: "Je ne me rappelle pas la date exacte de mon inscription à la loge P2, je me rappelle cependant qu'elle est de peu antérieur au scandale (...). Je n'ai jamais payé les frais d'inscription, et ceux-ci ne m'ont jamais été réclamés"...

L'iceberg Silvio Berlusconi
2. Corruption pour pots-de-vin à la Guardia di Finanza

Première instance : condamnation à deux ans et neuf mois pour les quatre actes de corruption jugés (aucune circonstance atténuante).

Appel : prescription pour trois des actes de corruption (grâce à la reconnaissance de "circonstances atténuantes génériques"), absolution assortie de doutes (art. 530 2e alinéa du code italien de procédure pénale) pour le quatrième. Parmi les motifs on peut lire "le jugement de culpabilité de l'accusé pèse sur de multiples éléments d'indice, certains, univoques, précis et concordants, et pour ces raisons dotés d'une force de persuasion permettant de leur donner valeur de preuve".

Cassation: absolution. L'exposé des motifs comporte deux références à la traditionnelle insuffisance de preuves. La Cour de Cassation ne peut se prononcer sur le fond du dossier ni annuler la précédente absolution assortie de doutes. Elle se doit d'émettre un verdict clair (confirmer ou annuler le jugement précédent). Mais, dans leur exposé des motifs, les juges de la VIème section pénale citent explicitement l'article 530 2e alinéa CPP ("preuves contradictoires et insuffisantes")...
Marco Travaglio revient en détail sur ce procès :
En réalité, la Cour de Cassation a confirmé dans un jugement définitif que Fininvest avait pour habitude de corrompre la Guardia di Finanza (In realtà è accertato in via definitiva dalla Cassazione che la Fininvest era solita corrompere la Guardia di Finanza). En effet, le manager qui versait les dessous-de-table aux fonctionnaires de la Guardia di Finanza a définitivement été condamné (Salvatore Sciascia, dont Berlusconi a par la suite fait un parlementaire pour le récompenser) ; quant au consultant Fininvest, l'avocat Berruti, qui a tenté de dépister l'enquête de la Guardia di Finanza, il a été reconnu coupable de favoritisme (condamné à 8 mois en Cassation) et, par conséquent, Berlusconi l'a également promu au Parlement...

Quant à l'absolution, elle n'est pas totale mais assortie de doutes pour preuves insuffisantes ou contradictoires, aux termes de l'article 530, alinéa 2, du Code de procédure pénale.

Or vous savez qu'il fallait que quelqu'un autorise Sciascia à payer les pots-de-vin, puisque lui n'était que le chef des services fiscaux de Fininvest, et jamais il n'aurait pris seul une décision aussi compromettante que de corrompre la Guardia di Finanza à chaque fois qu'ils envoyaient des inspections.

Mais surtout il fallait que quelqu'un lui donne l'argent de la corruption, sauf à considérer que Sciascia aurait amputé son salaire de son propre chef, à coup de 100 ou 120 millions de lires (env. 35-40 millions FF) par contrôle fiscal...

Fininvest : programmée pour corrompre

Et, de fait, le débat est lancé pour savoir qui avait donné l'autorisation et l'argent à Sciascia : au début, Paolo Berlusconi a été arrêté et a avoué qu'il avait fait ça tout seul, vu que son frère était président du Conseil. Après quoi on a découvert que ledit président du Conseil avait rencontré Berruti une minute avant qu'il ne dépiste d'enquête, d'où les soupçons et le procès à l'encontre de Silvio Berlusconi. Qui a été jugé en première et en deuxième instances comme le principal responsable du versement de ces pots-de-vin.

En première instance, il a donc été condamné avant d'être sauvé en appel par la prescription, suite à quoi la Cassation a fait sauter la prescription, au motif que les preuves étaient insuffisantes et en revenant à la thèse originale : le coupable était le frère, Paolo Berlusconi, thèse qui avait pourtant été abandonnée en appel...

Ceci dit, vu qu'il avait déjà été absous, il ne pouvait plus être jugé une deuxième fois pour la même affaire ! Le résultat est donc qu'il n'y a aucun commanditaire de la corruption, même si le jugement confirme : « il est certain que Sciascia opérait pour le compte du groupe, qui en tirait un profit illégal, et non pas à titre personnel », et que « Fininvest était programmée pour gérer de façon planifiée le type de situation jugée dans le cadre de cette affaire », à savoir que la Fininvest était prête à soudoyer la Guardia di Finanza chaque fois qu'un fonctionnaire venait faire un contrôle fiscal, « y compris en constituant une caisse noire alimentée en fonds hors-bilan et en désignant une personne ad hoc, Sciascia, chargée d'entretenir les bons contacts ».

Ainsi, la Fininvest disposait d'une caisse noire pour graisser les fonctionnaires de la Guardia di Finanza, elle disposait d'un salarié chargé de les corrompre - qui est aujourd'hui au Parlement -, voilà donc ce qu'écrit la Cassation, ce qui qualifie bien sûr une telle conduite « répétée, systématique et planifiée de corruption à proprement parler ».

Quant à la tentative de polluer les preuves avec les dépistages de Berruti, les juges écrivent : « compte tenu de ce qui a été observé sur l'insuffisance de preuves contre Berlusconi », le tribunal se prononce sur l'absolution assortie de doutes...
Bien, revenons-en à la liste des affaires...
3. All Iberian 1 (financement illégal de partis politiques)

Première instance : condamnation à 2 ans et 4 mois pour des versements de/vers l'étranger d'un montant de 21 milliards de lires, effectués par le biais du compte All Iberian au bénéfice de Bettino Craxi.

Appel : prescription, tout en indiquant que "l'innocence d'aucun des accusés ne résulte avec évidence des faits".

Cassation: prescription confirmée, avec condamnation au paiement des frais de procédure. Dans le jugement définitif, on peut lire "Les opérations sociétaires et financières préalables à des versements de l'étranger et vers l'étranger, du compte bancaire dont All Iberian est titulaire vers le compte de transit Northern Holding (Craxi), furent réalisées depuis l'Italie par les dirigeants du groupe Fininvest Spa, avec le concours important de Silvio Berlusconi, propriétaire et président de la société (...) Il n'apparaît pas dans les actes du procès que celui-ci est étranger à l'affaire".

4. All Iberian 2 (faux en écritures, falsification des bilans)

Prescription grâce à la législation ad hoc que lui-même a fait voter (cf. commentaires).

5. Medusa (faux en écritures, falsification des bilans)

Première instance : condamnation à un an et 4 mois (10 milliards au noir qui, par le biais d'acquisitions, se retrouvent sur un ensemble de livrets au porteur intitulés à Silvio Berlusconi).

Appel : absolution assortie de doutes. Selon les juges, Silvio Berlusconi est tellement riche qu'il pourrait ne pas s'être rendu compte qu'au cours de l'opération, son collaborateur Carlo Bernasconi (condamné) lui a versé 10 milliards de lires au noir (env. 350 millions FF, quand même). Les juges écrivent: "La multitude des livrets se rapportant à la famille Berlusconi et la dimension notoirement importante du patrimoine de Silvio Berlusconi permettent de penser qu'il n'a pas eu la possibilité de connaître tant l'augmentation de son capital que l'origine de celle-ci".

Cassation : jugement d'appel confirmé.

6. Terrains de Macherio (appropriation indue, fraude fiscale, falsification de bilans)

Première instance : acquittement pour les délits d'appropriation indue et de fraude fiscale (en raison du versement au noir d'une somme de 4,4 milliards de lires à l'ancien propriétaire de terrains entourant la Villa di Macherio, où vivent la deuxième femme de Berlusconi, Veronica, et ses trois enfants), prescription pour les faux bilans de deux sociétés auxquels "Silvio Berlusconi a indubitablement participé".

Appel : confirmation de l'acquittement pour les deux premières accusations, et pour l'un des deux faux bilans. La falsification du deuxième est reconnue, mais amnistiée.

Cassation : ? (aucune idée, et je n'ai rien trouvé malgré mes recherches).

7. Affaire Lentini (falsification des bilans)

Première instance : prescription du délit (une somme de 10 milliards versée au noir au club de football Torino Calcio lors de l'achat du joueur du Milan, Luigi Lentini), grâce à une nouvelle loi sur les faux en écritures que Berlusconi a fait voter.

Appel : dans ce cas, le Parquet a même renoncé à faire appel !

8. Comptes consolidés du groupe Fininvest (falsification des bilans)

Prescription : grâce à la nouvelle loi Castelli sur les faux en écritures, coup d'éponge sur env. 775 millions d'euros (env. 1 500 milliards de lires d'argent au noir sur une période présumée allant de 1989 à 1996, qu'aurait placé le groupe Berlusconi sur 64 sociétés off-shore de la galaxie All Iberian, "deuxième compartiment de la société Fininvest"). Archivage d'un dossier qui a rempli 220 classeurs...

Quant à l'exception d'inconstitutionnalité et d'incompatibilité avec les directives communautaires soulevée par le Parquet, d'abord l'Europe a déclaré la loi inapplicable (2003), avant de faire marche arrière (2005)...

9. Affaire Mondadori (corruption de magistrat dans le cadre d'une procédure judiciaire)

Grâce à la reconnaissance de "circonstances atténuantes génériques", prescription du délit (pour lequel, entre autres, Cesare Previti a été condamné en première instance, en appel et en cassation...) déclarée par la Cour d'Appel de Milan et par la Cour de Cassation. Dans l'exposé des motifs de la Cour de Cassation, on peut lire : « les faits pertinents [pour la reconnaissance de "circonstances atténuantes génériques"] qui concernent les conditions de vie sociale et individuelle du sujet [Berlusconi est alors devenu Président du Conseil], considérés par la Cour d'appel comme un élément décisif, n'apparaissent nullement incongrus… ».
Marco Travaglio apporte les précisions suivantes, sur une affaire où il y a renvoi en jugement de TOUS les prévenus (les avocats de Berlusconi, Cesare Previti, Attilio Pacifico et Giovanni Acampora, qui ont matérialement versé un pot-de-vin de 420 millions de lires - env. 140 millions FF - au juge Vittorio Metta pour enlever la Mondadori à Carlo De Benedetti et la livrer à Silvio), SAUF Berlusconi :
... Comment s'y est donc pris la Cour d'appel pour sauver Berlusconi et renvoyer en procès tous les autres, puisque l'affaire est la même et que c'est lui qui a pris le contrôle de Mondadori et non pas ses avocats, Previti, Pacifico et Acampora, qui sont par contre les corrupteurs matériels ayant versé le dessous de table de 420 millions de lires au juge Metta ?

Les juges de la Cour d'appel écrivent : « le système de troc des jugements devant les tribunaux romains est désormais connu de tous », puisqu'à l'époque, à Rome, rien n'était plus facile que d'acheter ou vendre un jugement, raison pour laquelle Berlusconi n'a fait que s'adapter à l'air du temps, en vertu de quoi il mérite, selon les juges, « une évaluation favorable quant à la gravité des faits et à la capacité criminelle » (Sic! “una valutazione favorevole in termini di gravità del fatto e capacità criminosa”). En clair, vu qu'il a corrompu un juge pour "acheter le jugement" dans un endroit où les autres font de même, la chose est moins grave. Ce qui revient en quelque sorte à affirmer que si un dealer vend sa drogue devant chez lui, c'est grave, mais s'il la vend dans un jardin public plein d'autres dealers, c'est moins grave, d'où une circonstance atténuante particulière. Imaginez un peu ce que vont chercher ces juges rouges milanais politisés juste pour sauver Berlusconi.

« Berlusconi - écrivent-ils - choisit un professionnel - l'avocat Previti - pour obtenir un jugement favorable, qui n'hésite pas à dépenser des sommes considérables, à payer des honoraires princiers », après quoi il ne se soucie plus de la façon dont ses avocats ont remporté l'affaire Mondadori, à la limite ils pourraient même corrompre des juges en dépensant SON argent mais sans le lui dire.

En effet, il « pouvait ne pas être informé des véritables systèmes et de l'activité professionnelle » utilisés par ses avocats, Previti & Co., pour gagner le procès. « La gravité du délit doit être atténuée à cause de la corruptibilité pré-existante et dangereuse du milieu judiciaire compétent », à savoir les tribunaux romains.

Donc le fait que "toute le monde le fasse" devient une circonstance atténuante au lieu d'être une circonstance aggravante, raison pour laquelle le tribunal lui reconnaît les circonstances atténuantes - et, donc, la prescription -, uniquement à lui mais pas aux autres... (je vous fais grâce - et à moi de même - des passages suivants, car ça n'ajoute rien à cette mascarade et j'ai encore beaucoup à écrire. Au final, tous les prévenus ont été condamnés en première instance, en appel et devant la Cassation, sauf Berlusconi, pour les raisons à peine expliquées...).
Reprenons notre bonhomme de chemin :
10. Affaire SME-Ariosto (corruption de magistrat dans le cadre d'une procédure judiciaire)

Circonstances atténuantes et prescription...

À l'origine de cette affaire, Stefania Ariosto, ex-compagne d'un des avocats de Berlusconi, déclarait que Cesare Previti, bras droit de Silvio Berlusconi (le bras gauche étant Marcello Dell'Utri...), avait mis en place dès les années 1980 un mécanisme sophistiqué de corruption des juges pour ajuster les décisions en sa faveur. Elle l'aurait vu, en 1989, remettre une enveloppe au juge Renato Squillante.

Accusée par Berlusconi et sa cour d'être une mythomane, elle va plus loin en déclarant que certains paiements se font par virement bancaire, chose confirmée ensuite par le Parquet de Milan.

Marco Travaglio explique : « Il y a pourtant un cas où il semble mathématiquement impossible d'innocenter les accusés, à savoir le fameux virement bancaire du 6 Mars 1991, d'un montant de 434 404,00 $, qui rebondit en quelques heures d'un compte étranger Fininvest alimenté par Silvio Berlusconi sur un compte étranger de Previti, puis de celui-ci sur le compte suisse de Squillante. En quelques heures, cette même somme passe sur ces trois comptes à la virgule près.

Virement bancaire direct, il n'y a donc aucun doute : Berlusconi paie Previti, et peu après Previti paie Squillante...

Comment faire, donc, pour sauver Berlusconi dans ce procès ? Un procès qui rendait fou Berlusconi, qu'il avait déjà réussi à bloquer par une loi ad hoc, la loi Maccanico-Schifani, déclarée inconstitutionnelle dans un deuxième temps, suite à quoi Berlusconi s'est fait faire une deuxième loi par son avocat, Gaetano Pecorella (qui était alors président de la Commission Justice à la Chambre des Députés...), pour abolir le pourvoi en appel (...), car il était terrorisé à l'idée que les juges d'appel pussent lui refuser les circonstances atténuantes, ce qui aurait transformé de fait la prescription en condamnation.

Il était terrorisé car il est évident qu'il savait fort bien comment se passaient les choses et que, dans cette affaire, il avait laissé son empreinte de façon irréfutable.

Or, miracle, en appel les jugent l'absolvent. Ils lui enlèvent la prescription mais lui donnent l'absolution, quand bien même assortie de doutes...

Et c'est là que les juges ont réussi un triple saut périlleux avec triple vrille illogique : face au passage avéré sans l'ombre d'un doute du virement de 434 404 $ d'un compte à l'autre, avec la corruption comme finalité, que disent-ils donc ?
« On ne voit pas pourquoi un entrepreneur aussi avisé que Berlusconi, disposant d'immenses disponibilités financières, aurait effectué ou fait effectuer un paiement pour corrompre par le biais d'un virement, destiné à laisser des traces, plutôt que de payer en liquide. »

(...)

Donc, dans ce cas, les juges écrivent : « Pensez-vous s'il aurait fait un virement en laissant des traces », là où, justement, Berlusconi a bien fait un virement en laissant des traces. Et ils insistent, en affirmant que pour corrompre les juges il aurait sûrement fait un paiement en cash.

(...)

Or lorsqu'on examine deux des autres chefs d'accusation de cette affaire, qui concernent le témoignage de Stefania Ariosto disant qu'à deux reprises, une fois dans un club, le Circolo Canottieri Lazio, et l'autre chez Previti lui-même, elle avait vu ce dernier remettre du cash de la main à la main au juge Squillante, ..., alors les juges se dépassent en écrivant le contraire exact de ce qui précède, à savoir que le récit de Stefania Ariosto
"fait naître d'évidentes perplexités sur une thèse opposée à ce que dicte l'expérience, à savoir que des professionnels aussi avisés et qualifiés que Previti et Squillante ne se verseraient pas des pots-de-vins au vu et au su de tous !" »

11. Affaire SME-Ariosto (falsification des bilans)

Le 30 janvier 2008, le Tribunal de Milan a absous Silvio Berlusconi de l'accusation de falsification des bilans pour les activités Fininvest entre 1986 et 1989 car « la loi ne considère plus ces faits comme des délits », suite aux modifications introduites par le Décret législatif du 11 avril 2002, n° 61 (sur la dépénalisation des faux en écritures), promulgué par le IIe gouvernement Berlusconi.

12. Droits télévisés (appropriation indue, falsifications des bilans, fraude fiscale)

Les magistrats du Parquet, Alfredo Robledo et Fabio De Pasquale, ont recueilli plus de 50 000 pages d'actes après avoir envoyé des commissions rogatoires dans 12 pays !

Ce procès, autrement nommé affaire Mediaset, remonte aux années 1994-1996. Il est actuellement suspendu par la "loi Alfano" qui confère l'immunité aux 4 plus hautes charges de l'état, contre laquelle le magistrat De Pasquale a soulevé une exception d'inconstitutionnalité, encore à l'examen de la Cour constitutionnelle.

En attendant, l'un des accusés, David Mills, a été condamné pour corruption et faux témoignage le 17 février dernier. On a donc un corrompu ... sans corrupteur !

13. Telecinco (violation des lois antitrust et fraude fiscale en Espagne)

En Espagne, Berlusconi était accusé, avec Marcello Dell'Utri et d'autres dirigeants du groupe Fininvest, d'avoir pris le contrôle, grâce à une série de prête-noms et d'opérations financières illicites, de la presque totalité de la chaîne Telecinco, en dépassement des limites imposées par l'Autorité de la concurrence espagnole, le plafond étant alors fixé à 25% des actions cotées. Il a obtenu un non-lieu en octobre 2008.

14. Écoutes téléphoniques - affaires Saccà, Randazzo et d'autres sénateurs de la république (trafic d'influence et corruption)

Dernières affaires en date, les choses remontent à 2007, dans le cadre d'une enquête menée par le parquet de Naples.

Dans son rapport annuel 2008 sur la liberté de la presse, RSF explique le secret des sources menacé : « C’est à Naples également, le 13 décembre, que la police a perquisitionné le domicile de Giuseppe d’Avanzo, du quotidien La Repubblica. Celui-ci avait, la veille, annoncé l’ouverture d’une enquête pour corruption concernant Silvio Berlusconi, information confirmée depuis par le parquet de la ville.

Dans son article “Televisione e mercato dei senatori”, le journaliste s’appuyait sur des extraits d’écoutes téléphoniques indiquant que l’ancien président du Conseil (2001-2006) aurait proposé à un sénateur de centre-gauche, Nino Randazzo, de l’aider à renverser le gouvernement de Romano Prodi en échange d’un poste de vice-ministre.
 »

Mais ce n'est pas tout, puisque Berlusconi poussait également Saccà pour qu'il fasse jouer dans une de ses productions Rosa Ferraiolo, actrice et l'épouse de Willer Bordon, de la coalition du centre-gauche. Avec l'espoir que cela aurait pu l'aider à convaincre le sénateur de "changer de camp" et faire tomber le gouvernement de Romano Prodi.

Même si, en fin de compte, Mastella s'en est chargé tout seul...

Donc, au-delà des nombreux problèmes que suscite ces rapports étroits de Berlusconi avec Agostino Saccà, Directeur général de la RAI à l'époque des écoutes, on voit bien que Berlusconi continue ses magouilles au fil des ans, avec la certitude de son impunité totale.

Ce que confirme implicitement le jugement des magistrats de Rome, qui avaient toutes les preuves en main et ont pourtant demandé que le dossier soit archivé et les écoutes détruites ! (Archivage plutôt courant lorsqu'il s'agit des relations infidèles de Berlusconi avec la RAI ou la télévision à péage...).

Au motif qu'il y aurait asymétrie totale entre Saccà et Berlusconi : Berlusconi est si riche et si puissant qu'il n'aurait aucun besoin de garantir quoi que ce soit à Saccà pour obtenir des faveurs de lui !!! (« Berlusconi non ha alcuna necessità di garantire indebite utilità per avere favori da Saccà »). Ce que Marco Travaglio explique ainsi : Berlusconi est patron de l’Italie, et donc de la RAI, et donc de Saccà, et donc il n'a même pas besoin de corrompre...

Et d'appeler ça la "justice créative" (un peu dans le sillage de la "finance créative" dont le monde a aujourd'hui les résultats sous les yeux...), où le conflit d'intérêt, au lieu d'être une circonstance aggravante, devient un alibi. Berlusconi dit pourtant à Sacca : je sais que tu as l'intention de te mettre à ton compte, je te revaudrai ça le moment voulu... (saprò ricompensarla quando lei sarà un libero imprenditore come mi auguro avvenga presto...)

Une justice créative qui conditionne lourdement toutes les phases du procès depuis 15 ans (délits, délais de prescription, peines, preuves, procédures), indifféremment pour tous les justiciables en Italie...
Comme dit l'autre, si ça c'est la "Justice", alors moi je suis ... (à vous de remplir les points de suspension).

Or tout cela n'empêche sûrement pas Berlusconi de dormir, ni de mentir, ni d'attaquer. Comme lorsqu'il annonce qu'il faudrait soumettre régulièrement les magistrats à des tests psychologiques et des examens médicaux, que ce sont des "subversifs" ou encore qu'il les considère comme des « métastases de la démocratie » !

C'était le 25 juin dernier à Rome, où il s'est même indigné d'être accusé "injustement" de se servir de la loi pour sauvegarder sa personne et ses intérêts ! En sortant de son chapeau son pénible "record du monde" éculé, tel qu'il l'a répété la semaine dernière à la journaliste d'El Mundo, et en ressassant toujours les mêmes berlusconneries, à savoir qu'il n'a jamais été condamné. Ce qui est TOTALEMENT FAUX, nous venons de le voir.



Remarquez, en un sens, il a raison de dire que certains juges sont des "métastases". Il se trompe juste délibérément de destinataires et oublie de désigner nommément tous les véreux, les pourris, les cupides, toujours en vente aux plus offrants, des mafieux aux politiques, etc.

Mais ça, c'est LA PARTIE IMMERGÉE DE L'ICEBERG, sur laquelle je reviendrai dans un deuxième billet. Car contrairement à ce que j'ai pu croire, il est vrai que Berlusconi n'a jamais été condamné par les tribunaux italiens pour mafia, bien qu'il ait longtemps fait l'objet d'enquêtes approfondies pour trafic de drogue, mafia, et surtout, aux côtés de son éminence grise, Marcello Dell'Utri, pour concours externe dans les attentats de 1992 qui ont coûté la vie à Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.

Attentats mafieux ou crimes d'état, je suis sûr que vous en entendrez encore parler dans les jours et les semaines qui viennent...

Enfin, Berlusconi a encore raison lorsqu'il parle de "métastases", qui ne sont que la propagation d'un cancer. Car c'est lui-même, le véritable cancer qui ronge l'Italie depuis 15 ans, lentement mais sûrement, et qui arrive aujourd'hui à sa phase terminale. Soit l'Italie saura trouver les anticorps pour éliminer ce cancer, maintenant, soit la démocratie italienne finira comme tous les cancéreux en phase terminale : elle mourra.

Jean-Marie Le Ray
&t;">">">">">">">">" target="_blank" onclick="return fbs_click()" class="fb_share_link">Partager sur Facebook

P.S.

1. Sur Marcello Dell'Utri, signalons que lui aussi est un modèle d'intégrité publique : après 7 ans de procès, condamnation à neuf ans de prison en 2004 pour complicité d'association mafieuse, assortie d'une interdiction à vie d'exercer une charge publique...

Or cette personne, à l'origine de Forza Italia, premier parti politique de Berlusconi, est, aujourd'hui encore, Sénateur ! Lui qui n'hésite pas à qualifier publiquement de "héros" un mafieux notoire...

Remarquez qu'au Sénat il est en bonne compagnie, notamment aux côtés de Salvatore Cuffaro, condamné en première instance (janvier 2008) à 5 ans, là encore avec interdiction à vie d'exercer une charge publique. Ce qui explique que lui aussi est Sénateur.

Avec la bénédiction du président du Sénat, un autre sujet intéressant : à ce jour, Renato Schifani, comme Berlusconi, n'a jamais été condamné par les tribunaux italiens pour mafia, mais nombre de ses ex-associés n'ont pas eu le même traitement. Il faut dire aussi qu'il est plutôt malchanceux dans ses choix, probablement un défaut génétique de son "Intuitu personae"...

Nous verrons donc si, une fois encore, il choisit le bon cheval en défendant Totò Cuffaro, puisqu'il a largement anticipé la condamnation en déclarant :
Si Totò Cuffaro devait être condamné, il ne serait pas obligé de quitter ses fonctions. (...) Forza Italia est un parti garantiste. Ça n'aurait vraiment aucun sens que Cuffaro soit condamné en première instance et absous en appel...
Certes, quand on voit le parcours de leur maître à tous, on peut comprendre que Schifani soit optimiste : Cuffaro a vraiment tous les espoirs de s'en sortir !

Perso, quand je vois que ces gens-là sont au gouvernement, au parlement, et occupent des positions clés (Cuffaro a été nommé à la commission de surveillance de la RAI, un poste crucial pour contrôler l'information...), je me dis tristement (ce n'est pas l'adverbe juste, mais je suis trop troublé pour en chercher d'autres) que l'Italie est bel et bien devenue une mafiocratie...

2. Dans ce billet, j'ai utilisé indifféremment les termes juges et magistrats, or j'ai découvert sur le blog d'une avocate française installée à Pérouse, Eve Mongin, qu'il y a une différence :
De nombreux juges ne sont pas magistrats mais souvent simplement titulaires d'une laurea di giurisprudenza. Embauchés par le ministère de la Justice pour parer au plus urgent, ils sont devenus une figure familière des tribunaux (giudici onorari) et arrivent à tenir près de 20% des audiences civiles et à juger environ 12% des affaires. Ils sont payés à l'heure (98€) et ont un statut de "précaires".
Autant pour moi... Mais comme Eolas le sait bien, je ne suis pas particulièrement compétent en droit :-)

Actualités, Italie, Silvio Berlusconi, mafia

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