Dès l’avant propos, l’auteur prévient du consciencieux travail de recherche qui a précédé la rédaction de ce livre. Max Guérout a « patiemment recensé la plupart des documents d’archives concernant le naufrage de l’Utile ». Puis a rêvé qu’un « écrivain, par la grâce d’un récit, donne vie à cette masse d’archives et d’objets qu’il venait d’arracher à l’ensablement de l’oubli ».
C’est donc une rencontre entre l’écrivain Irène Frain et l’historien Max Guérout qui servira de déclencheur à ce récit. Nous sommes en 1761, le trafic d’esclaves vient d’être interdit. Pourtant un capitaine décide de braver l’interdiction et embarque dans ses cales une cargaison clandestine d’esclaves. Malgré les talents de navigateurs du capitaine, l’approximation des cartes de l’époque et la malchance font s’échouer en pleine nuit son navire, l’Utile, sur un minuscule îlot de l’Océan Indien : l’île Tromelin. Au petit matin, les rescapés découvrent qu’ils sont prisonniers d’une minuscule bande de terre, un confetti posé au milieu de l’océan. Comment vont-ils s’organiser pour subsister ? Et plus étonnant encore, comment certains d’entre eux vont-ils réussir à s’échapper ? Il faudra de la discipline et l’ingéniosité des hommes, la science de construction de vaisseau maritime et l’ardeur au travail des esclaves pour réussir l’impossible. Malgré le succès de la construction, il faut vite se rendre à l’évidence: l’embarcation ne pourra contenir tous les hommes, femmes et enfants présents sur l’île. Les esclaves sont donc abandonnés avec une promesse du capitaine de venir les chercher dès qu’il le pourra.
L’histoire est passionnante et dès les premières pages, je me suis senti embarqué par le souffle du vent, à partager le quotidien de l’Utile au milieu d’hommes rudes et déterminés. La force de ce livre est la précision avec laquelle les faits sont relatés au détriment parfois des codes plus classiques du roman. Le souci de relater avec exactitude cette histoire a parfois occulté l’épaisseur des caractères de ses protagonistes et par là même, limité l’empathie que j’aurai pu éprouver à leur encontre. Il en demeure un vrai plaisir de lecture et la dernière page refermée, l’inévitable question : et moi, qu’aurai-je fait si, comme eux, j’avais été prisonnier de cette île ?
Extrait:
Saisissement. C'est l'île. Le vent. Le blanc du roc au sommet de la plage. La frappe indéfinie des lames. L'assommoir du soleil.
Les yeux s'écarquillent puis s'enfoncent, les jambes flageolent, l'échiné lâche. Un à un, les corps s'écroulent. Noirs ou blancs, ils réclament à la terre le répit qu'elle a toujours su leur offrir. L'accueil, le refuge, la matrice.
Quelques minutes plus tard, l'évidence s'abat : ils ne les trouveront pas. La nuque s'affaisse, le souffle manque, un peut cri déchire les bronches, on renonce. En condamné, on se livre à la massue du soleil.
Quelquefois des têtes se relèvent. Un œil cherche, de droite et de gauche, un autre œil. Pour y découvrir le néant. Une fois de plus, on s'effondre. En lâchant, incontrôlable, le petit cri. Parfois aussi, par extraordinaire, le regard parvient à s'enfuir du côté de la mer. Il bute aussitôt sur le rempart des lames. Impossible de voir au-delà de la première déferlante, là où est allée se ficher l'ancre du navire, à une vingtaine de mètres de la plage.
L'œil, par réflexe, revient alors du côté des sables, tente de mesurer l'étendue de l'île. Et nouvel écrasement : si L'Utile avait fait voile un peu plus au sud, il ne serait jamais parti par le fond.