Depuis quelques jours, les français peuvent se rendre au cinéma pour visionner le film courageux réalisé par Phillipe Lioret intitulé ironiquement « Welcome ». L’auteur y traite d’un sujet tout à fait sensible puisqu’il évoque la problématique des populations migrantes qui souhaitent se rendre en Angleterre via le littoral nord de la France. Bien évidemment, ces exilés, principalement issues des pays parmi les plus misérables du globe (Afghanistan, Somalie, Palestine, Érythrée…), ne sont absolument pas les bienvenus dans nos contrées européennes dont le corpus des règles en vigueur a créé une situation aussi bien inhumaine que parfaitement ubuesque. C’est tout l’objet du rapport la loi des « jungles » réalisé par la Coordination Française pour le Droit d’Asile (CFDA) que de poser cet état des lieux sans concession. Il convient donc d’attirer l’attention sur ce travail remarquable [1].
Alors qu’il entamait sa gouvernance du ministère de l’intérieur, on se souvient parfaitement de la fermeture très médiatisée du centre d’accueil de Sangatte réalisée en novembre 2002 par Nicolas Sarkozy, initiative alors applaudie par nombre de politiciens de tous bords, au rang desquels figurait sieur Jack Lang. Mais, et la situation dramatique actuelle en est la preuve flagrante, il ne s’agissait là que d’un coup politique où la démagogie le disputait au cynisme le plus insupportable. Ainsi, non seulement la région Nord Pas de Calais n’aura pas vu la moindre amélioration quant à la gestion de ce flux migratoire incessant qui génère des situations humaines parfaitement contraires à tous les principes fondamentaux de notre République et de l’Europe, mais pire encore, elle aura vu la situation s’aggraver du fait d’une législation européenne en la matière tout à fait inique et indigne.
En effet, loin de respecter la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 qui pose comme principe dans l’alinéa premier de son article 14 « que devant la persécution, toute personne à le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays », ainsi que la convention de Genève du 28 janvier 1951 relative au statut des réfugiés, la quasi totalité des États européens sont loin de mettre en œuvre avec la diligence requise les moyens d’appliquer ces différents principes pourtant officiellement reconnus les différents États parties à ces différents textes.
Dés lors, le combat mené par le CFDA demeure essentiel afin d’exercer une pression à minima pour que ces populations ne soient pas définitivement oubliées, livrées à elles-mêmes et ballottées au gré d’un droit positif en vigueur qui les maintient en fait dans le non droit.
En guise de préambule à son travail académiquement exemplaire, le rapport la loi des « jungles » illustre son propos avec l’histoire emblématique d’un jeune réfugié afghan, Assad, qui a quitté son pays en 1997 dans le but de rejoindre l’Angleterre, sa destination finale qu’il ne parviendra à atteindre qu’en 2002. Après 4 années difficiles en Angleterre, s’étant vu refusé sa demande d’asile, Assad décida de rejoindre Bruxelles, puis l’Italie où il arrive en 2006 et dépose une demande d’asile qui, une fois encore, lui fut refusée. Enfin, en 2008, Assad rejoignit la France pour finir à Calais afin de rejoindre à nouveau l’Angleterre. Interpellé lors d’une tentative de traversée, ce dernier fut renvoyé en Italie, pays qui avait relevé ses empreintes digitales. Au mois d’août 2008, Assad vivait toujours en Italie, en situation irrégulière après 11 années d’un parcours improbable, mais reflet exact de ce que peuvent vivre quantité de personnes exilées qui aboutissent en Europe.
L’objectif principal que souhaite atteindre ce rapport est de rendre visible et lisible la situation des exilés qui vivent dans des conditions inhumaines, éparpillés le long du littoral de la mer du Nord et de la Manche. Cette état des lieux tout à fait sinistre, insiste le rapport, est en fait la conséquence directe de la fermeture du centre de Sangatte qui, s’il n’était pas satisfaisant, avait au moins le mérite d’être visible et donc perfectible. En outre, le CFDA met l’accent sur la précarisation de ces populations du fait d’une politique extrêmement sécuritaire des États européen à l’endroit des flux migratoires composés d’exilés refoulés de toutes parts.
L’historique de cette situation nous montre qu’elle est la conséquence directe,dans un premier temps, de la chute du mur de Berlin en 1989. Cet événement provoquera une première vague de migrations à destination de l’Angleterre via la France, avec une première sédentarisation des populations repoussées par Londres le long du littoral de la Manche et de la mer du Nord. Puis en 1999, après la guerre du Kosovo, une nouvelle vague d’exilés parvenait sur cette zone géographique devenue un véritable tampon entre l’espace de Schengen et l’Angleterre. Afin de faire face à cette situation humanitaire devenue ingérable, fut décidée l’ouverture du centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire (CHAUH) destiné à gérer les migrants en transit vers l’île anglaise voisine. Selon la croix rouge, pas moins de 67 600 personnes ont séjourné dans le centre de Sangatte entre 1999 et 2002, parmi lesquelles des Afghans, Irakiens, Iraniens, Kosovars et autres Indiens ou Roms. Enfin, sous la pression d’Eurotunnel, ainsi que de la population locale excédée, et à la faveur du changement de gouvernement, le centre incriminé finissait par fermer ses portes avec les conséquences directes que l’on connaît aujourd’hui, notamment l’éparpillement d’une population errante qui doit désormais se confronter aux rigueurs des lois et accords européens qui ont créé, de fait, cette réalité insoluble et incohérente. Dés lors, pris au piège du règlement du Conseil européen du 18 février 2003 (nommé « Dublin II »[2]) qui détermine l’État responsable de l’instruction de la demande d’asile, ainsi que du code de Schengen [3] entré en vigueur le 13 octobre 2006 (arsenal législatif de la politique de contrôle aux frontières), les exilés se retrouvent dans une situation volontairement rendue inextricable qui fige souvent leur destin dans le vide perpétuel d’une « errance migratoire » douloureuse et sans fin. En outre, même expulsés vers leur pays d’origine, les migrants finissent toujours par revenir et sont maintenus dans un cercle vicieux infernal.
Par ailleurs, malgré une législation très contenante et répressive, complétée par le fichier Eurodac [4], l’Europe ne peut toujours pas maîtriser ces flux migratoires qui sont la conséquence de tensions géopolitiques en permanence entretenues dans certaines régions du monde. En effet, les personnes qui décident de s’exiler le font afin de fuir misère, oppression politique et non avenir absolu. Ils désirent seulement améliorer leur sort peu enviable, soit une mécanique d’une logique parfaitement humaine que chacun peut intégrer. Mais le mirage de l’occident prospère opère toujours, tel un miroir aux alouettes forcément bien loin de la réalité d’une Europe au profil sécuritaire avéré.
Dans le même sens, le rapport du CFDA met aussi en exergue la tentation pour l’État français de criminaliser l’aide humanitaire fournie aux exilés par une frange pourtant exemplaire de la population locale, qui assiste depuis maintenant des années à l’errance forcée infligée à ces migrants placés dans des conditions souvent similaires aux camps de réfugiés situés dans les zones les plus exsangues de la planète. Aussi, il est important de souligner ici le comportement profondément humain de ces « justes » d’aujourd’hui -le choix de ce terme fait écho à la polémique entretenue par M. Besson suréagissant à la métaphore faite par Philippe Lioret au sujet du personnage principal de son film.
In fine, le CFDA demande dans son rapport que soit enfin respecté le droit d’asile [5] dans l’espace européen, et que soit révisé le règlement dit de Dublin II afin de le rendre d’une part plus cohérent, et d’autre part qu’il mette en place une véritable solidarité entre les États membre de sorte que la charge des migrants soit répartie plus équitablement. En outre, le rapport insiste pour que les populations exilées soient objectivement informées de leurs droits et qu’elles soient accueillies dans des conditions dignes et humaines, notamment quant aux mineurs ou autres victimes de la traite, et qu’il soit mis fin au harcèlement et violences des forces de l’ordre. Sur ces points essentiels, nous ne pouvons que les rejoindre vivement et inviter chancun(e) à prendre connaissance de l’état des lieux dressé par eux.
[1] Rapport du CFDA: La loi des « jungles »
[2] Le règlement « Dublin II »
[4] Eurodac
[5] Les 10 conditions minimales pour que l’asile soit un droit réel