Magazine Culture
Hélène, jeune femme de 41 ans, a été emportée par un cancer. Une immense amitié liait l'auteur à cette dernière, commencée autour d'un verre sur la terrasse d'un bar très connu de Rennes (le Picadilly), devenue chaque jour un peu plus profonde pour se développer en une relation indéfectible où respect, admiration et érudition se mêlent et s'enchevêtrent.
La première partie du récit est celle de la rencontre, de la naissance de leur amitié, de leur passion intellectuelle commune pour un auteur (elle Proust, lui Gracq), les racines brestoises, les sorties, les soirées à refaire le monde et à disserter sur la littérature, les lectures, les films, les musiques. C'est le temps des études, d'un rêve qui se réalise à Venise, en robe du soir, la vie mordue à pleines dents, la certitude d'exister, de sentir les parfums les plus subtils d'une vie qui sans cesse s'échappe devant soi. Les rues de Venise mènent aussi aux rues de Paris, celles que l'on ne peut apprécier et découvrir vraiment qu'à pieds, piéton de l'histoire, piéton de la mémoire, piéton du cours du temps. Hélène, jeune femme entière, sans concession, passionnément fidèle, insubmersible amie, indéfectible petite branche d'un solide rameau familial, Hélène qui vaillamment apportera le savoir (son savoir, les savoirs) à ses élèves, leur offrant les plus belles pages de la littérature française sans les faire sombrer dans le mortel ennui des cours.
La seconde partie est la plus sombre car sur elle pèse la maladie, la souffrance et la douleur d'être un jour séparé de ceux que l'on aime. Hélène a rencontré un marin et est retournée sur Brest pour vivre avec lui et construire une vie à deux. Tout est splendide face à la rade ou du pont de Recouvrance d'autant qu'un cadeau du ciel est annoncé pour novembre....l'enfant tant espéré. Pourquoi la tragédie s'abat-elle sur le bonheur à peine entamé? Hélène connaît peu à peu l'enfer de la chimio, l'horreur de la perte des cheveux, ses cheveux masse magnifique souple, quasi vivante, puis l'angoisse de la perte d'une partie de sa féminité. Le narrateur conte les jours heureux, les jours où Hélène ne souffre pas, où elle se lance dans des projets, où elle pense pouvoir reprendre le chemin du lycée. La gaieté et le sourire d'Hélène sont autant de poignards dans le coeur de ceux qui resteront.
Philippe Le Guillou emmène dans son sillage un lecteur touché, bouleversé par la subtilité poétique du récit d'un départ annoncé: très vite, il sait que l'histoire ne s'achève pas bien, que l'histoire est douloureuse et profondément triste. La maladie, terrible, insaisissable et désespérement présente, n'est pas déclinée à la manière sirupeuse d'un récit voyeuriste. Loin de là se situe le récit du narrateur: la poésie est à fleur de mot et de page, elle virevolte, beauté radieuse d'une langue travaillée de la manière la plus exquise, ciselée et ornée sans lourdeur, et transcende la douleur des faits. Ecrire sur une longue et lente maladie incurable n'est pas un exercice facile et Philippe Le Guillou offre non seulement la plus belle des déclarations d'amitié à l'amie qu'il n'a plus mais encore il écrit une très belle page de littérature où la langue est aimée, choyée, dansante, chantante, lancinante de beauté et devient un chant dont l'auteur aimerait "qu'il n'eut pas la froideur mallarméenne". D'ailleurs, son récit est un ultime cadeau pour celle qui ne pouvait être allongée que dans "un lit de lumière, une nef enchantée qui l'emmène loin, dans la tradition ophélienne des dérives celtiques.". Ce chant est tout sauf d'un froid mallarméen, il est une ode aux mythes celtiques, chers à Hélène mais aussi chers à l'auteur: les promenades dans les légendes de la forêt de Brocéliande, les balades étranges sur les landes mystérieuses d'une côte déchiquetée et sauvage, accompagnent le dernier voyage d'une jeune femme et d'une jeune mère partie trop tôt.
"Fleurs de tempête" est un roman, certes poignant, d'une subtile poésie qui évite au récit de sombrer dans le pathos et surtout qui offre la part belle à une exquise langue française dont on ne se lasse pas!...Et Philippe Le Guillou, un auteur qui mérite plus qu'un détour!
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