-Vous en faites une tête, M’ame Daube ! Quelque chose qui va pas ?
-Tout ! Enfin rien, rien ne va. Mon chat s’étrangle avec une arête de merlu : 50 euros de vétérinaire. Ma Brandt me lâche hors garantie, on ne peut même plus compter sur les Allemands : 450 euros de dépannage. Mon neveu se pacse avec un érémiste : 100 euros de cadeau quand même. Que des frais. J’ai dû vendre un napoléon.
-Mais le prix du gaz qui baisse de 10%, quand même !
-Je suis au tout électrique.
-Et la courbe d’optimisme des ménages, M’ame Daube, dans Le Parisien, en hausse malgré la crise, à 65 % !
-Moins que la courbe de l’ânerie, M’ame Michu : à 80, sans compter les mineurs. Devinez la dernière du cadet de ma voisine. Non content de soutenir en copie d’histoire que Louis-Philippe a bien connu Louis XV, il trouve urgent de traiter de pauv’c… la prof de français qui lui retire deux points pour trente-cinq fautes en une page et demie. Sa mère, institutrice, ne décolère pas, défile pour honnir le ministre et demander plus de moyens. Vous devriez voir le gamin dans sa chambre, M’ame Michu : plus appareillé qu’un comateux à la Salpêtrière ! La maman vous dira qu’il faut vivre avec son temps, que le portable, l’ordinateur, la télé, la console et j’en passe, c’est de la relation humaine, de la conscience collective, bref de la maturité . Ah ! ça oui, plus que mûrs, nos chéris ! Faut que ça saute, si vous voyez ce que je veux dire. Pas de risque aujourd’hui qu’une fillette à nattes et cerceau nous demande si on fait les enfants par l’oreille. Savez pas ce que me dit l’autre fois ma petite nièce du côté d’Albert, treize ans, l’œil émoustillé ? « Et toi tantine, qu’est-ce que tu faisais le mieux ? » Je réponds : « Le coq au vin. » Elle en rit encore.
-Cessez de mouliner, M’ame Daube. Il faut positiver. Tenez : la baisse de la TVA dans la restauration, voilà quelque chose ! Moi qui rêvais depuis trente ans d’un dîner chez Maxim’s et qui renonçais à cause du 19,6… Non non, on ne peut pas dire que ce Président ne fait rien. Regardez comme il tempête : contre les banquiers qui veulent pas l’ouvrir, contre les patrons qui veulent la fermer, contre les pays qui blanchissent, contre le Mexique qui met à l’ombre, contre le chercheur qui trouve pas, le juge d’instruction qui trouve trop, contre les ministres qui patinent ou les journalistes qui dérapent : il se démène comme un beau diable.
-Pour rien : plus d’eau dans le bénitier. Même l’Eglise qui ne sait plus à quel saint se vouer, fulminant quand il faut pardonner, pardonnant quand il faut fulminer. Voulez-vous que vous dise, M’ame Michu ?
-Oui, mais vite, M’ame Daube. J’ai ma fille à manger, faut que ça cuise.
-Je suis mûre.
-Oui, mais vous ne le faites pas. Avec vos mèches, on vous donnerait soixante.
-Mûre pour le grand soir, M’ame Michu ! Oh ! oui, la fin du fric, du frac, du fric-frac ! La fin des gourdasses, des rapaces. Allez, vlan ! la révolution. Si si ! le grand coup de balai. Faut que ça pète. Ma pharmacienne ramenée au smic, mon docteur dépêché de garde à Guily-sur-Serin, mon conseiller financier en alternance au blanchiment des SDF, les frais de savon pour lui. Sarkozy à la plonge, Aubry aux patates, Bayrou au pansage… Ma parole, je crois que j’ai la rage.-A nos âges, M’ame Daube, ça vaut mieux que la grippe. Mais vous, dans cette féérie ? A la lanterne ?
-Moi ? A l’enregistrement. Mon pauvre Albert disait toujours que j’avais l’esprit comptable.
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