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Septembre 2008
Une journée de septembre, où j'abandonne avec plaisir le travail - qui attendra - pour me consacrer à mon fils.
Déjeuner en tête à tête et visite au Musée Rodin.
Quand je regarde ces "snapshots", je réalise que je ne vois plus la nudité, ni dans des sculptures, ni dans des
photographies. Elle me paraît naturelle.
Qu'en pense un enfant ? Je ne crois pas qu'il soit choqué. Tout au plus mon fils s'en amuse lorsque je lui suggère
de se glisser derrière les 3 Adams. "Pourquoi ris-tu ?" "Mais Maman, je vois leurs fesses" !
Moments exquis... il est bon de s'attarder.
Je regarde mon fils derrière cette Danaïde si fragile, à peine humaine (sa taille n'est pas aux proportions humaines). Hélas, ils l'ont emmurée. Dans un cube de verre, mais enfermée tout de même.
Quelle tristesse.
Enfermée. Je songe à Camille Claudel, mais je n'en parle pas. L'heure est joyeuse, ne pas la ternir. Il aura bien
le temps de savoir... que Camille aujourd'hui serait une artiste, originale, et entêtée, mais certainement pas folle. Que personne ne songerait à lui infliger 30 ans d'internement pour être
coupable d'autant de passion. Que pendant qu'elle grelottait de froid et de solitude, son frère construisait habilement sa carrière de diplomate et de romancier, en bon catholique... Il vaut
mieux que je m'arrête là...
J'ai le plus grand mépris pour Paul Claudel, et la plus grande tendresse pour sa soeur Camille.
Pour l'instant, je regarde les yeux d'un enfant, le mien, sur ces sculptures là. Celles de Rodin, et de Claudel.
Il prend son temps, accélère puis s'éternise. Je le laisse, en liberté dans l'Hotel de Brienne presque vide, quelle chance. Son regard sur la Petite Châtelaine. Son attention pour les Causeuses.
Je lui explique la fragilité de l'onyx, et la difficulté à le sculpter. La force de Rodin, et la grâce de Claudel. Je lui demande son avis. Ses réflexions m'étonnent. (Permettez-moi de les
garder, je n'ai pas le droit de divulguer ça).
Bonheur.
J'ai dans la tête ce concerto de Mozart. Pourquoi je trouve toujours sa musique triste et gaie à la fois
?
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« Je vis dans un monde si curieux, si étrange. Du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar... » écrira-t-elle 22 ans plus tard, de l’asile de Montevergues, où elle a
été transférée le 7 septembre 1914. Elle y mourra en 1943, après trente ans d’internement ininterrompu.
Camille n’a pas tout à fait tort, quand on connait les conditions qui lui ont été faites, d’écrire à propos de son internement : « Maman et ma soeur ont donné l’ordre de me
séquestrer de la façon la plus complète, aucune de mes lettres ne part, aucune visite ne pénètre ». Ce qui est rigoureusement exact. Les seules visites ou lettres qui lui sont
autorisées, sont celles de sa famille. Elle se résume à trois personnes depuis que le père est mort : la mère, qui ne lui rendra pas une seule visite jusqu’à sa mort en 1929, Louise sa sœur
qu’elle accuse d’avoir scellé un pacte afin d’hériter de son atelier, à qui sera léguée la maison natale à laquelle elle rêve tant de retourner dans ses lettres d’asile, une visite, et Paul
quatorze visites qu’il lui accordera à ses brefs retours des antipodes où il a fui le sanctuaire familial, Paul le frère chéri qui malgré ses supplications de la reprendre avec lui à Villeneuve
après la mort de leur mère, ne cédera pas lui non plus. Les derniers mots qu’elle prononcera avant de mourir seront pour lui « Mon petit Paul... ».
A Montevergues, elle souffre de la faim, du froid, de l’isolement où elle est reléguée : « les maisons de fous sont des maisons faites exprès pour souffrir, surtout quand on ne voit
jamais personne », « Quant à moi, je suis tellement désolée de vivre ici, que je ne suis plus une créature humaine. », de la promiscuité avec les pensionnaires :
« Dis-toi bien Paul que ta soeur est en prison. En prison, et avec des folles qui hurlent toute la journée, font des grimaces, sont incapables d’articuler trois mots sensés. Voilà le
traitement que, depuis près de vingt ans, on inflige à une innocente ! ».
© "Camille Claudel, correspondance" - Olivier Plat, 2008.
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