J’ai relevé dans Le Monde, daté du 11 mars, ceci : « La formule la plus optimiste revient au patron de la Banque centrale européenne : Nous nous approchons du moment où il y aura une reprise , a risqué Jean-Claude Trichet». L’auteur de cet article s’est mépris. M. Trichet n’a rien risqué du tout et il a surtout parlé pour ne rien dire. Faute de pouvoir remonter le cours du temps, nous nous approchons tout naturellement du moment de la reprise, de même que chaque jour nous rapproche de notre fin. Il eut été optimiste, mais peut-être plus risqué, de déclarer que la fin de la crise s’approchait de nous.
J’ai lu, dans les Echos du 5 mars, ceci : « La France fera cette année 98,5 % de ce qu'elle a généré en 2008 », a voulu souligner Christine Lagarde hier, pour tempérer l'officialisation du repli prévu du PIB de 1,5 % cette année, soit la plus mauvaise performance depuis la Seconde Guerre mondiale. « On l'oublie, mais c'est important, a-t-elle poursuivi. Ce n'est pas comme si le pays s'était soudain arrêté ». Comme s’il ne lui suffisait pas de nous rebattre les oreilles avec une croissance négative, tentant de faire croire que le pays est encore en croissance, voilà qu'elle cède au vertige des grands nombres et avance cette valeur voisine de 100%. Je suggère, puisqu’elle est ministre de l’Economie et que notre Président veut que les ministres soient jugés sur leurs résultats, qu’elle ne perçoive cette année que 98,5% de sa rémunération de 2008. Cela lui permettrait peut-être de saisir ce que sont des revenus en décroissance.
Parmi les divers remous qui ont suivi le billet de Stéphane Guillon sur France-Inter consacré à un certain penchant de Dominique Strauss-Kahn, j’ai remarqué une intervention dont j’ai malheureusement oublié l’auteur et même les termes exacts. Elle exprimait l’idée selon laquelle, lorsque l’on veut faire de l’humour, il est des limites à ne pas dépasser, limites indiquées en utilisant plusieurs mots, parmi lesquels indécence. Et j’ai pu entendre cette démonstration professée sur le ton sentencieux de celui qui vient de faire une découverte étonnante et définitive : « il faut ne pas oublier que dans indécence, il y a décence ».
Ce linguiste néophyte n’a visiblement pas saisi la valeur du préfixe in, qui sert à indiquer la négation, la privation, l'absence ou le contraire. Dans un mot comme indécence, le préfixe est aussi important que le mot dont il modifie radicalement le sens. Dans indécence, il n’y a pas décence mais bien au contraire l’absence totale de décence. Ce brave intervenant aurait tout aussi bien pu prétendre que l’on peut voir un objet invisible parce que dans invisible il y a visible.
Les mots sont innocents. Ceux qui les malmènent ne le sont pas. Mais il ne faudrait pas qu’ils nous prennent pour des innocents.