Horses
par Patti Smith
Année : 1975
Label : Arista
Stéréotypes : Alternative Rock, Protopunk, Culte
Liens : Site, MySpace, Spotify
Mauvaises fréquentations. Elle aurait pu être poète, peintre, actrice, militante, rock-star, et finalement, elle a décidé d’être tout ça à la fois. Enfin “décidé”, ce sont plutôt ses fréquentations qui en ont voulu ainsi. On ne sort pas un premier album pareil en ayant passé sa vie dans un coin paumé de l’Alaska. À 21 ans et après avoir suivi une éducation très religieuse dans le New Jersey, Patti Smith prend le train pour New York et travaillera quelques temps dans une petite librairie tenue par un ami poète. Deux ans plus tard elle part à Paris avec sa soeur où elle cherche à s’imprégner de l’environnement des poètes français du 19ème qu’elle adule. Les deux soeurs se débrouillent comme elles peuvent pour gagner de quoi manger, en improvisant des scènes dans les rues, chantant, dansant, interpellant… Patti Smith n’est pas l’Edith Piaf du punk, mais l’analogie n’est pas aussi merdique qu’elle n’y paraît.
Elle retourne à New York et commence à fréquenter tout l’underground artistique de la ville. Elle peint, écrit (poèmes mais aussi critiques musicales pour le magazine Creem), joue dans des pièces de théâtre, collabore avec Allen Lanier de Blue Öyster Cult, écoute de l’opéra, rencontre John Cale du Velvet Underground, Richard Hell des Voidoids, Allen Ginsberg et toute la Beat Generation… En 1974, elle commence à faire de la musique avec Lenny Kaye, puis forme un groupe digne de ce nom, le Patti Smith Group.
Spoken-word. La façon de chanter de Patti Smith est sans doute ce qui est le plus original à l’époque, et qui sera imité ensuite par des milliers de chanteurs et chanteuses avec plus ou moins de succès. Formée par le théâtre, la comédie, elle utilise des mimiques vocales terriblement expressives qui seront reprises à leur compte par tous les punks. Elle déclame ses textes autant qu’elle les chante, dégage l’impression d’être possédée par eux, et l’impression se confirme sur scène lors de ses concerts intenses, donnés lors des premières années du groupe dans les petits clubs de New York. J’imagine que son chant a décomplexé pas mal de monde et a convaincu l’implication dans les textes associée à une dose de théâtralité valaient plus qu’une grande voix au sens technique du terme. Personne n’oserait dire aujourd’hui que Patti Smith n’a pas une grande voix.
Mélanges. Ses fréquentations artistiques l’ont bien entendu conduite à les fusionner dans ses textes et dans sa musique. Ses textes sont à la fois romantiques, symboliques, inspirés tout autant par Arthur Rimbaud que par Allen Ginsberg et William Burroughs, Jim Morrison ou Bob Dylan, par Lou Reed et Jimi Hendrix, et bien d’autres inconnus. Ses vers surréalistes sont franchement difficiles à appréhender, très cinématiques, et sont parfois même improvisés en studio. Peu importe en fait, ils collent parfaitement à la musique de son Group : il faut rendre hommage à Lenny Kaye (guitare) et Richard Sohl (clavier) qui ont su créer des compositions qui accompagnent à merveille la rage des textes de Patti Smith (”Free Money”, “Break It Up”), s’inspirant de grands groupes des années 1960, des Stones aux Doors.
On sent l’influence d’un John Coltrane : une interprétation intense d’un texte épique, homérique, fabuleux, accompagné par une guitare velvetienne, un piano entêtant, des montées en puissance invraisemblables… Cette chanson est précédée d’un… reggae, “Redondo Beach”, dont les paroles avaient été publiées en 1972 dans le recueil de poèmes kodak de Smith, et qu’elle présentait ainsi en concert : “Redondo Beach is a beach where women love other women.”. Une petite touche lesbienne ne fait pas d’mal, vous ne me contredirez pas.
Monuments.Les 2 gigantesques et intemporels moments du disque sont bien sûr “Gloria : In Excelsis Deo”, reprise des Them de Van Morrison et “Land: Horses / Land of a Thousand Dances / La Mer (De)”, trois chansons tout simplement monumentales. “Gloria” commence par cette ligne : “Jesus died for somebody’s sins, but not mine”. Patti Smith met une baffe à tous ses profs de l’école catholique et aux croyances de sa mère, qui était témoin de Jéhovah. Reconstruisant entièrement la chanson de Van Morrison, Patti Smith lui redonne un cachet rock’n'roll tout neuf, plus fiévreux et intense, avec ce crescendo complètement démentiel qui se termine sur explosion garage 60s qu’on imagine interminable lors de ses concerts. “Land” me fera toujours penser au “The End” de Jim Morrison. Hallucinatoire, corrosif, frénétique, d’une puissance incroyable, avec une tension qu’elle arrive à conserver jusqu’à la dernière seconde, et ces riffs électriques qu’on retrouvera chez tous les groupes punks, rah bon dieu c’que c’est bon !
Remplies à ras bords d’inspirations, d’idées, d’expérimentations et de génie, les 8 pistes de Horses se sont imposées avec le temps comme une des pierres de Rosette du rock alternatif et du punk. Impossible de passer à côté.
À lire également : ma chronique de Rid of Me de PJ Harvey, digne héritière de Patti Smith.
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