C’est une exposition sur le point de vue, l’endroit où on se place pour voir, le lieu où la vision d’un espace se projette sur un plan. C’est l’inverse du travail de Felice Varini ou de Damián Ortega, non point l’illusion créant un dessin plan, mais la profondeur d’un champ venant impressionner un ‘quatrième mur’, qui serait comme une plaque photographique. Et il n’est pas innocent que ce jeu de profondeur et de planéité soit présenté dans ce qui est en fait un passage, le hall de la Maison Populaire de Montreuil (jusqu’au 11 avril), où les visiteurs, se hâtant vers un concert, un spectacle ou un atelier, n’ont d’abord qu’une vue latérale de cette exposition, puis, pivotant, ne perçoivent qu’une vue d’ensemble, hésitant sans doute avant de discerner les différents plans.
Comme en écho, avant d’entrer dans l’image, il y a derrière le spectateur un diaporama d’Alexander Gutke, Lighthouse, qui projette une fenêtre blanche, écran ou tableau, sous différents angles : le rectangle se déforme et l’illusion du mouvement du spectateur s’installe.
Et la plupart des pièces qu’on découvre une fois le quatrième mur franchi sont elles aussi des rébus, des déconstructions, des évocations. Des débris épars au sol vont se reconstituer en une image murale (Gwenneth Boelens, A whole fragment), des cornières métalliques vont figurer le plan d’un appartement (Cécile Desvignes, Les angles), des prises de grimpe vont évoquer le plan du sanctuaire druidique de Stonehenge (Jérémie Gindre, La Voie (Stonehenge 4a+)), un visage quasi invisible n’est que l’empreinte d’une carte postale utilisée comme marque-page dans un livre blanc (Gaël Pollin, Hermione).
Barbara Bloom présente un objet que nous ne voyons pas, soucoupe de porcelaine céladon cassée, dont nous n’avons qu’une photo et une radiographie, l’objet lui-même étant là mais invisible, enveloppé dans une boîte aux motifs japonisants (Broken t (esagonal plate)). Cet écart entre réel et représentation, ce fétichisme secret, cette frustration de la scopie, peuvent aussi évoquer les boîtes rwandaises d’ Alfredo Jaar, quand on ne peut pas montrer, seulement nommer, citer, évoquer.
Enfin le travail très construit d’Isabelle Cornaro (Cinésculptures (ombres portées)) est une quintessence de l’exposition : sept cadres suspendus se succèdent. Dans leur moitié inférieure, une photographie, on voit simplement l’ombre s’étendre peu à peu, temps qui passe peut-être, soleil qui baisse sur l’horizon. Au dessus de cette image minimale, un dessin montre le point de vue qui s’abaisse, les lignes de perspective s’étendant graduellement sur tout le dessin. C’est un travail pur sur la construction de l’image, bien plus construit que ses paysages en bijoux vus ici et là.
Cette exposition, qui mérite bien qu’on franchisse pour elle le périphérique (!), est le premier volet d’une série intitulée ‘Un plan simple’, présentée par le collectif ‘Le Bureau’; suivront la scène et l’écran.
Photos courtoisie du centre d’art Mira Phalaina, Maison populaire de Montreuil.