Un bip, tout petit; ou non, pas même un bruit, juste un peu de lumières.
Un signe que beaucoup de personnes attendent. La curiosité l'emporte sur le devoir.
Je décrypte les mots le coeur battant: ...pas atteindre...audition...annulation... répétition...aussi...professeur...hôpital...
Et là, c'est le choc.
Ma première pensée flirte avec le "non, pas à nouveau". La deuxième est un "pourquoi ? " lancé en regardant le ciel.
Incompréhension. Pourquoi lui ? Pourquoi me gâcher les derniers mois qu'il me reste ?
Peur, doute. Jouer.
Répété en vain. Non, pour moi, ce n'est pas rien.
Une pensée positive me traverse la tête: "au moins, les commentaires négatifs familiaux attendront."
Mauvais, mauvais.
Des points négatifs, beaucoup. Quelqu'un qui a fait tant pour moi, qui m'a tout appris, qui m'a vu pleurer, hurler, qui m'a sermonnée dans son silence, qui m'a félicité, qui m'a vu grandir, progresser, changer, semaine après semaine.
Je me souviens des premières fois, à dix ans, petite fille en salopette de jeans, un tresse descendant dans le dos, un regard naïf mais plus trop, une curiosité dépassant monts et mers, un instrument trop grand pour mes petits doigts devant mes yeux, son sourire, et toute sa patience.
Je me souviens de la confiance régnant entre nous, de mon apprentissage parfois difficile, de mes doigts blessés par le poids de l'instrument, de ma lèvre en sang, de son admiration, de tout ce que j'ai gâché.
Je me souviens des plus petits, dont je m'occupais, avant les auditions, les faisant répéter, leur montrant quelques astuces. Je me souviens des tentatives de se calmer les uns les autres, des regards de feu parfois entre nous.
Il ne s'est jamais découragé, et moi, j'ai eu souvent honte, bien trop honte.
Une autre pensée, un rêve qui se voit repoussé, peut-être annulé. Bartók, les Danses Roumaines, mes Danses Roumaines, les jouer accompagnée du piano, pour moi, peut-être pour d'autres, surtout pour moi. Un rêve d'adolescente, un rêve qui se voit repoussé, annulé peut-être ? Non, je ne peux l'accepter.
Oui, dimanche, cela aurait été un massacre, j'aurais pleuré, j'aurais eu honte. Mais alors ?
Attendre, espérer.
Il ne me reste que trop peu de temps.
Jouer.
Sanglots, dans ma gorge, deux causes, l'une si égoïste, l'autre au moins un peu justifiée.
Comme si le cauchemar qui m'a réveillé ce matin revenait, comme cette sensation de terreur qui m'a pris, qui n'est partie qu'avec l'eau coulant sur mon corps.
Non, je ne veux pas.
Rêver, on m'a dit de vivre mes rêves, ils s'éloignent, un à un.
Je revois les yeux des autres, à l'écoute de tous ces projets, et j'ai peur, peur de m'être trompée, peur de mentir à tous ces gens, si proches.