Délits d’opinion : En janvier un sondage montrait que 43% des Français étaient moins intéressés aujourd’hui par la Ligue 1 qu’auparavant. Comment analysez-vous ce désamour pour le championnat national ?
Pierre Ménès : En foot comme ailleurs, les gens sont lassés de voir les mêmes l’emporter chaque année. C’est un constat que l’on peut faire pour d’autres sports comme en tennis à Roland Garros avec Nadal. L’absence de suspens, plus que le manque de qualité, est la raison principale qui peut expliquer ce sentiment. En 2008-2009 le championnat est un peu plus serré, mais on retrouve Lyon devant ses concurrents.
Si la qualité et le suspens sont les deux handicaps de notre championnat, le second est plus aisé à modifier car les raisons qui expliquent le faible niveau du championnat sont nombreuses et moins faciles à remettre en cause. L’autre élément pouvant expliquer le faible intérêt suscité par notre championnat c’est la culture défensive de plusieurs entraîneurs français. À l’inverse, en Allemagne on joue vers l’avant, on marque beaucoup de buts ce qui explique que les Allemands apprécient la Bundesliga alors que selon moi c’est un championnat plus faible que la Ligue 1.
L’autre élément qui affecte la qualité du championnat c’est la capacité à conserver les meilleurs joueurs. L’exemple de Podolski qui souhaite quitter le Bayern Munich pour Cologne est, à ce titre, révélateur d’un championnat apprécié et où les joueurs Allemands ont plaisir à évoluer. En France, la faible qualité du championnat est durement impactée par le départ de quinze des vingt meilleurs joueurs à la fin de chaque saison.
Délits d’Opinion : Selon 61% des Français, la baisse du prix des billets pourrait permettre un plus grand intérêt pour notre championnat. Dans le même sondage, 78% des Français soutenaient que les footballeurs étaient trop bien payé. Pourquoi argent et football ne font-ils pas bon ménage ?
Pierre Ménès : Ces réponses identifient un problème avec l’argent plus qu’un dilemme entre l’argent et le football. La France a un rapport maladif à l’argent. Ensuite, de quels footballeurs parle-t-on ? De Benzema ou du footballeur pro de Ligue 2 qui, entre 24 et 27 ans, gagne 8 500 euros, dont 50% est prélevé par l’Etat parce qu’il est célibataire ?
Selon moi la question n’est pas celle de l’argent mais de la passion. Si l’on demande aux supporters lensois s’ils accepteraient d’avoir Samuel Eto’o et ses 35 buts par saison moyennant un salaire de 500 000 euros je pense que 95% des supporters seraient d’accords car chez eux la passion est véritable. Comme la majorité des Français ne prennent pas de plaisir en regardant la Ligue 1, ils estiment les « acteurs » de ce spectacle trop payés. À l’inverse, peut-être n’ont-ils aucun mal à accepter les 30 millions d’euros qu’a reçus Tom Cruise pour faire « Mission Impossible III ».
L’opinion se focalise sur les quelques joueurs qui gagnent beaucoup d’argent alors qu’ils ne sont pas très nombreux à pouvoir mener une vie de pacha entre piscine et Ferrari. Ainsi, les joueurs que j’ai côtoyés à Reims en Ligue 2 gagnaient entre 1 000 et 14 000 euros par mois. Le salaire moyen était à l’époque de 8 500 euros. Cette somme représente un montant très important lorsqu’il est perçu entre 40 et 65 ans, mais pas quand il l’est pendant 4 saisons.
Le problème de fiscalité qui existe en France est réel et il serait important de créer des dispositifs pouvant permettre à ces jeunes d’investir afin de préparer la vie post-football tout en servant la collectivité. La création de PME et la subvention de logements sociaux sont certes des niches fiscales, mais seraient une vraie réponse à cette question de l’argent dans le football, et aussi un moyen de conserver nos meilleurs joueurs. Aujourd’hui, entre gagner 40 000 euros imposés à 50% en France et en gagner autant net d’impôt au Royaume-Uni, l’immense majorité des footballeurs font le choix de la raison et du défi sportif en allant rejoindre les équipes de la Premier League anglaise.
Délits d’Opinion : Si la passion manque aux Français cela revient à dire que nous ne sommes pas un pays de football ?
Pierre Ménès : On est très nettement derrière l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, le Portugal ou l’Allemagne. Dans ces pays, les gens vont au stade alors que le prix des billets est souvent plus élevé qu’ici. En France, on préfère regarder un match à la télévision.
Cela ne s’explique pas par le prix des billets. Encore une fois c’est le niveau dramatiquement faible de nos installations qui fait pencher la balance. En 1998 on a construit un stade et collé des bouts de plastiques sur 5 autres. En Ligue 1 on a des stades honteux : Nice, Auxerre, Lorient, Le Mans et les collectivités locales ont d’immenses difficultés à lancer des grands projets à cause de riverains ou de paysans qui voudraient conserver leur tranquillité.
A Munich, l’Allianz Arena a permis de dynamiser une zone autour du stade alors qu’en France, on a toujours pas de toit au Vélodrome. Ce stade est une honte. Un spectateur qui paye 50 euros sa place en tribune présidentielle se fera tremper intégralement s’il pleut au cours du match. Avec ce genre de chose on comprend le désamour pour la L1. Le public français n’étant pas foncièrement passionné, il est versatile et ne se rend au stade que lorsque l’équipe fonctionne et joue bien.
Délits d’Opinion : Aujourd’hui Lyon ne parvient pas à conquérir les cœurs français malgré des performances supérieures à tout ce que l’on a connu jusqu’ici. Est-ce dû à un manque de culture populaire et à l’absence d’un bassin ouvrier ?
Pierre Ménès : Je pense que Lyon est le club d’une ville bourgeoise mais ce qui est remarquable c’est l’absence de sympathie que dégage ce club. Aujourd’hui, que cela soit justifié ou pas, c’est un état de fait reconnu par tous. Ce club n’est pas sympathique, pas souriant et n’est pas un modèle de chaleur humaine et de passion… En effet, la passion naît de la fragilité et Lyon, qui s’est construit selon un modèle économique très stable, demeure « froid comme une lame » pour tous les amoureux du ballon rond. On aimerait voir plus d’enthousiasme, plus d’envolées lyriques mais ce sont des choses que Lyon n’a pas encore connues véritablement. L’opposition face à Barcelone démontre la différence entre un club passionné et un club à l’image de Jérémy Toulalan : sérieux, travailleur, très précieux, volontaire mais en définitive très chiant.
Délits d’Opinion : Le classico PSG-OM a-t-il encore un véritable intérêt ? Malgré le regain de forme cette année l’opposition fait souvent pale figure sur le papier…
Pierre Ménès : Cette année on va avoir droit à une opposition superbe car ce match sera déterminant pour la suite du championnat. Par rapport à la période faste qu’ont connu ces deux clubs les relations se sont normalisées entre dirigeants, supporters et équipes.
Au final, un PSG-OM ce sera toujours plus bandant qu’un Bordeaux-Lyon, qui devrait être le sommet du championnat. C’est une nouvelle preuve du manque de passion qui entoure le championnat de France et son champion, l’Olympique Lyonnais.
Délits d’Opinion : Les Français et les médias semblent entretenir une relation particulière avec leur sélectionneur. Comment expliquer le cas Domenech ?
Pierre Ménès : C’est principalement sa communication qui l’a desservie. Du point de vue des résultats, il a réussi le second meilleur résultat de l’histoire en amenant la France à « une barre transversale » de sa seconde victoire en Coupe du Monde. Ce qui est intéressant dans le cas Domenech c’est l’absence de crédit qu’il a récolté de ce parcours. Les joueurs, et surtout Zidane, ont récupéré les lauriers d’une campagne formidable.
Cet état de fait est d’ailleurs très étonnant car Domenech chez les Espoirs c’était « le bon client » devant les quatre journalistes présents. Quand Domenech dit « j’ai raclé les fonds de tiroir », cela fait rire chez les espoirs tandis que cela lui attire les foudres des observateurs et des officiels quand il fait ce genre d’annonce en 2008.
Au niveau de la communication, l’équipe de France emmenée par Lilan Thuram, a fait le choix du confinement pour ne pas reproduire les erreurs de la Corée en 2002. Le problème c’est que les conclusions n’ont été tirées qu’après l’échec. En faisant le choix de ne pas communiquer pendant la Coupe du Monde, les Bleus n’ont « pas parlé aux gens » et cela explique sans doute le manque de reconnaissance qu’a aujourd’hui Domenech auprès de l’opinion publique. Le silence médiatique a renvoyé l’image d’une sélection refermée sur elle où les joueurs gardaient leurs baladeurs sur les oreilles pour ne pas être dérangé. Le problème c’est qu’ils n’ont pas écouté et n’ont pas entendu les reproches qui ont pu être faits en dépit de leur excellent parcours.
Si en 2002 on a retenu que l’échec en oubliant les pépins physiques (Pirès, Zidane), les problèmes d’arbitrage (Henry) et la malchance (5 poteaux en 3 match), en 2006 on a rien retenu hormis la finale : c’est la démonstration d’une vision court-termiste et absolument pas enrichissante.