Deux autres nouvelles histoires extraordinaires figurent sur ce CD édité par la maison Grinalbert et lu par Kim Vinter dont on peut apprécier avec quelle intensité il nous fait vivre le texte ...
La découverte d'une société secrète par Legs et Hugh Tarpaulin dans « Le Roi peste » ne m'a pas particulièrement envoûté ... En revanche, j'ai trouvé que « Hop-frog » était un délice ... peut-être parce qu'ici la mort est un acte vengeur ...
Hop-frog est le bouffon d'un monarque qui un jour se met à frapper la jeune Tripetta, son amie ... le fou du roi va alors mettre toute son énergie à faire payer le responsable ainsi que ses ministres ... il organise alors une cérémonie où il déguise son auditoire en orangs-outangs ... mais le spectacle vire à l'horreur ...
Les huit cadavres se balançaient sur leurs chaînes, - masse confuse, fétide, fuligineuse, hideuse. Le boiteux lança sa torche su eux, grimpa tout à loisir vers le plafond, et disparût à travers le châssis.
Orang-outang que, souvenez-vous, on retrouve dans la plus connue, probablement des Histoires extraordinaires, « Double assassinat dans la rue Morgue » ... un texte qui présente pour la première fois Auguste Dupin ... celui-ci excelle dans ce que l'auteur appelle la ratiocination (pinaillage, argutie) et qui permet de résoudre n'importe quelle énigme ... la démarche a énormément inspiré Conan Doyle et son célèbre duo : Holmes et Watson ... (« Vous me rappelez le Dupin d'Edgar Allan Poe » dira d'ailleurs le docteur au célèbre détective dans leur première aventure, nous est-il d'ailleurs rappelé ici) ...
Entre l'ingéniosité et l'aptitude analytique, il y a une différence beaucoup plus grande qu'entre l'imaginative et l'imagination, mais d'un caractère rigoureusement analogue. En somme, on verra que l'homme ingénieux est toujours plein d'imaginative, et que l'homme vraiment imaginatif n'est jamais autre qu'un analyste.
Quand je veux savoir jusqu'à quel point quelqu'un est circonspect ou stupide, jusqu'à quel point il est bon ou méchant, ou quelles sont actuellement ses pensées, je compose mon visage d'après le sien, aussi exactement que possible, et j'attends alors pour savoir quelles pensées ou quels sentiments naîtront dans mon esprit ou dans mon cœur, comme pour s'appareiller et correspondre avec ma physionomie.
On retrouve d'ailleurs Dupin dans la « Lettre volée », autre nouvelle lue dans ce CD édité par Frémeaux et Associés par Christian Benedetti ...
A chaque fois, l'observation des faits, la logique mais aussi l'imagination permettent de démêler l'écheveau ... comme dans « Le scarabée d'or » où William Legrand, Jupiter et le narrateur remettent la main sur un trésor au terme d’une expédition lancée sur la base de documents codés … un texte qui aurait inspiré à Robert-Louis Stevenson son « Île au trésor » ...
« L’imagination est une faculté quasi divine qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, la correspondance et les analogies. »
Poe a influencé Conan Doyle, Robert-Louis Stevenson mais aussi Mary Shelley ... il suffit pour s'en convaincre de lire ses écrits où il est question de décrépitude ... voyez « La vérité sur le cas de M. Valdemar » où un homme voit sa vie prolongée par une expérience magnétique ... le lecteur veut croire à une dénouement heureux mais c'est oublier à qui l'on a affaire ...
Comme je faisais rapidement les passes magnétiques à travers les cris de : - Mort ! Mort ! - qui faisaient littéralement explosion sur la langue et non sur les lèvres de son sujet, - tout son corps, - d'un seul coup, - dans l'espace d'une minute, et même moins, - se déroba, - s'émietta, - se pourrit absolument sous mes mains. Sur le lit, devant tous les témoins, gisait une masse dégoûlinante et quasi liquide, - une abominable putréfaction.
Une référence au magnétisme que l'on retrouve d'ailleurs dans deux autres nouvelles : « Révélation magnétique » (que j'ai peu aimée) mais aussi et surtout dans « Les souvenirs de Monsieur Auguste Bedloe » ...
Enfin, on ne saurait oublier l'influence de l'auteur américain sur la littérature de science-fiction et l'un de ses meilleurs porte-drapeaux, Jules Verne et son « Cinq semaines en ballon » ...
C'est particulièrement flagrant dans « Le canard au ballon », le canard dont il est question ici est synonyme de canular ...
Au moyen d'un gouvernail , la machine pouvait aisément s'orienter dans toutes les directions. Le levier était d'une grande puissance, comparativement à sa dimension, pouvant soulever un poids de quarante-cinq livres sur un cylindre de quatre pouces de diamètre après le premier tour, et davantage à mesure qu'il fonctionnait. Il pesait en tout huit livres six onces. Le gouvernail était une légère charpente de roseau recouverte de soie, façonnée à peu près comme une raquette, de trois pieds de long à peu près, et d'un pied dans sa plus grande largeur. Son poids était de deux onces environ. Il pouvait se tourner à plat et se diriger en haut et en bas, aussi bien qu'à droite et à , et gauche, et donner à l'aéronaute la faculté de transporter la résistance de l'air, qu'il devait, dans une position inclinée, créer sur son passage, du côté sur lequel il désirait agir, déterminant ainsi pour le ballon la direction opposée.
L'extrait dont il est question illustre d'ailleurs parfaitement les mots de l'écrivain argentin Julio Cortazár, autre disciple de Poe, dont je vous ai déjà parlé ici même à plusieurs reprises ...
Le savoir, l'érudition, la manifestation, à chaque page de critique ou de fiction, d'une culture extrêmement vaste, personnelle, teintée de mystère et d'initiation à l'ésotérisme. De très bonne heure Poe organise tout un système de notes, de fiches où il consigne des phrases, des opinions, les points de vue hétérodoxes ou pittoresques qu'il glane dans ses lectures aussi variées que désordonnées.
Comme toujours, le thème chez Edgar Allan Poe se décline dans plusieurs nouvelles ... il n'est pas surprenant dès lors de retrouver sa passion pour l'astronomie dans « Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaal », où se prépare un voyage sur la lune ... le ballon s'élève très haut dans les airs avant de redescendre ... ce qui a amené certains critiques à se demander si le nom du personnage principal (Pfaal) n'était pas en fait une référence plus explicite à la chute (Fall) ... même interrogation quant au jeu de mot sur le nom d'un autre personnage, celui de Morella (Mort est là) ...
Attrait pour les airs, pour la terre, pour la mer aussi mais évidemment dans ce qu'elle a de plus étrange dans « Manuscrit trouvé dans une bouteille » et de plus dangereux quand s'exerce la force de ses tourbillons « Descente dans le Maelstrom » ...
L'île que vous voyez là-bas, -reprit le vieux homme, - est appelée par les Norvégiens Vurrgh. Celle qui est à moitié chemin est Moskoe. Celle qui est à un mille au nord est Ambaaren. Là-bas sont Islesen, Hotholm, Keildhelm, Suarven et Buckolm; Plus loin, - entre Moskoe et Vurrgh, - Otterholm, Flimen, Sandflesen et Stockholm. Tels sont les vrais noms de ces endroits ; - mais pourquoi ai-je suggéré nécessaire de vous les nommer, je n'en sais rien, je n'y puis rien comprendre – pas plus que vous. - entendez-vous quelque chose ? Voyez-vous quelque changement sur l'eau ?
Ce qui frappe, à la lecture de Edgar Allan Poe, c'est que l'anormal apparaît très vite ... quelques lignes et nous voilà plongés dans l'étrange, le monstrueux ... On comprend dès lors que de nombreux citoyens américains considèrent l'auteur comme une vilain petit canard parce que grand ordonnateur de ces tableaux macabres ... c'est lui qui tire les fils des raisonnements comme le dit Cortazár ... un vrai pervers ...
Mais un pervers de génie dont il faut honorer la mémoire ... Un génie mort à 40 ans, imbibé d'alcool, dévasté par un delirium tremens, stade intermédiaire avant le sommeil éternel ... qu'a-t-il vu à ce stade de l'inconscience ? Un monde sale, morbide, laid ? Ou bien, au contraire, un monde harmonieux qu'il n'avait peut-être pas connu dans son existence, lui, le gamin très tôt orphelin ? Cela restera à jamais un mystère ...