Un plan pour l'automobile, un plan pour les banques, un plan pour les PME ... allons-nous bientôt voir ressusciter le commissariat au plan, enterré il y a près de trois ans par décret ? commissariat au plan : ça devait sentir un peu trop le communisme ... c'est sans doute pour cela qu'à cette importante institution française, dirigée un temps par un certain Henri Guaino, aujourd'hui conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, a succédé le centre d'analyse stratégique ... ça sonne mieux ... c'est plus dynamique ... ça fait offensif ... on a l'impression d'avoir affaire à des militaires de l'économie ... à des soldats d'un nouveau type de guerre ... une guerre, oui, puisqu'il s'agit d'être le plus compétitif, le plus fort donc ... de triompher dans cette jungle sans foi ni loi ... si, celle du profit ...
Le profit, l'argent, donc le pouvoir ... voilà ce qui excite Wayne, trader à Wall Street qui pense argent matin, midi et soir ... les fluctuations boursières, voilà son truc ... ça monte, ça descend, ça remonte, ça redescend ... vous n'y verriez qu'une courbe ... Wayne, non ... il y voit des opportunités financières ... il parie sur des évolutions ... il perd parfois ... mais la plupart du temps il gagne ... il engrange même ... un boulimique du fric ...
« Ils n'avaient tout simplement pas le temps d'être nostalgiques ou contemplatifs. Ils n'étaient pas encombrés par un désir nébuleux de défendre quoi que ce soit. Où était la valeur ajoutée là-dedans ? Ils étaient ici simplement pour faire de l'argent. »
La société pour laquelle travaille Wayne s'appelle Empiricus ... terminaison latine, histoire de donner un peu de consistance à cet univers de la grosse entreprise établie dans la Grosse Pomme ... mais quelle consistance dans ce monde qui doit fabriquer des robots sans conscience ... mais d'ailleurs qui sont les machines ici : les traders ou les ordinateurs Bloomberg sur lesquels se dessinent chaque jour des courbes ? On se pose la question en lisant ce livre de Viken Berberian , jeune auteur américain dont Das Kapital est le premier roman traduit en français ...
« Nous croyons au contenu empirique du marché. Notre nom vient de là, Empiricus Kapital. Nous croyons qu'on peut anticiper les progrès et les déclins. Nous croyons que les motivations économiques envahissent la vie sociale mais qu'une telle croyance ne devrait pas nous empêcher de nous faire plein de fric. »
Deux autres personnages vont jouer un rôle important dans la vie de Wayne : Alix, étudiante en architecture – ce qui est durablement installé contrairement aux variations des titres -, vivant à Marseille ... l'autre est un homme sans nom ni prénom : le Corse, tout simplement ... deux êtres qui incarnent des rapports opposés au temps, me semble-t-il ... Alix est celle qui arrive à décocher Wayne de ses écrans, qui lui rappelle son identité d'homme, qui (r)éveille des sentiments chez ce trader ... elle conduit Wayne à se pencher sur lui-même ... elle lui rappelle son passé ... en ce sens, elle présente un danger : celui de faire gripper une machine, toujours désireuse de contrôler l'avenir ...
« Depuis qu'il s'était mis à correspondre avec Alix par emails, d'étranges idées occupaient son esprit. Il se demanda si les émotions humaines pouvaient être représentées sous forme de diagramme de la même façon qu'une obligation d'État. »
Le Corse, lui, agit différemment ... engagé par Wayne pour perpétrer des attentats, il symbolise la quête d'un contrôle sur tout ... le Corse c'est l'avenir, celui qui doit aller bouleverser la marche du monde pour permettre à Wayne de s'enrichir, lui seul pouvant savoir comment la vie va évoluer ... il peut donc parier sur le lendemain grâce à cet homme ... et tout cela, au nom de ce que l'auteur appelle la théorie du désastre déterministe ... une notion tellement intégrée dans le cerveau humain ... en témoigne cette pensée vertigineuse d'un chauffeur de taxi qui emmène le Corse au siège de la société Empiricus ...
« Nous vendons notre temps de vie en échange de salaires. Ce n'est pas seulement que le temps est de l'argent. C'est que la vie, qui est de l'énergie exercée sur le temps, est échangée contre de l'argent. La vie est de l'argent ; l'énergie est de l'argent ; le temps est de l'argent. L'argent est le solvant universel, ce qui nous amène au MetLife Building, votre destination, ou, plus vraisemblablement, un autre point de départ. »
Le Corse et Alix vont donc tous les deux, à leur façon, changer la vie de Wayne parce qu'ils l'écartèlent en quelque sorte ... changement pour le meilleur mais aussi pour le pire ... comment imaginer sortir indemne d'une vie dont le contrôle finit par vous échapper ? Wayne qui « faisait plus confiance à la permanence des fractions qu'à l'inconstance de l'alphabet » finira pas perdre pied, sa vie toute tracée, organisée devenant de plus en plus sinueuse ...
Das Kapital est une satire redoutable de la société du profit ... du capitalisme moderne dans sa version actuelle, c'est-à-dire cette recherche effrénée du toujours plus ... amasser, accumuler, posséder n'est pas une fin en soi ... reprendre comme titre celui de la Bible marxiste est extrêmement bien trouvé ... elle montrerait la persistance et même le développement considérable d'un système sur les effets négatifs duquel le célèbre barbu allemand voulait attirer notre attention ... on nous répétera que les états ayant appliqué cette philosophie ont été balayés par le vent de l'histoire ... que désormais il n'y a plus que le marché ... le livre de Berberian est une belle antithèse à cet argument ... méfions-nous du jusqu'au-boutisme ...
A offrir de toute urgence à l'entrée des marchés financiers aux quatre coins de la planète ...