Par Yves Cadiou
NB : Des obligations diverses me tiennent actuellement éloignées de ce blog, je prie donc tous mes lecteurs de bien vouloir me pardonner pour ce silence temporaire. Dans cet article, Yves Cadiou revient sur la question du statut militaire. Je lui laisse la parole en le remerciant à nouveau pour la confiance qu’il m’accorde et la qualité de ses écrits. FD.
A la suite de la parution en février, ici et sur le forum de la Saint-Cyrienne, de mon article sur le statut militaire j’ai reçu différents commentaires qui m’amènent à revenir sur le sujet.
Pour les gens qui fréquentent comme moi les lieux virtuels ou réels où les militaires échangent leurs points de vue entre eux, il apparaît que la regrettable indifférence des élus politiques envers les personnels militaires est fortement ressentie. Je reviendrai à ce phénomène dans un prochain article. Selon quelques militaires, la solution à cette indifférence se trouverait dans une banalisation du statut, banalisation qui consisterait à imiter le statut de la fonction publique civile, notamment en supprimant l’interdiction syndicale contenue dans le statut militaire. Mon impression personnelle, très subjective et peut-être fausse, c’est que cette tendance à la banalisation du statut est ultra-minoritaire. Pour ma part j’approuverais la banalisation si j’estimais que l’intérêt de mes jeunes camarades (et aussi l’intérêt de l’armée si le niveau de recrutement en dépendait) était de banaliser le statut. Mais ce n’est pas le cas et je souhaite expliquer pourquoi : c’est que le remède proposé est pire que le mal que l’on veut soigner. Il y a une meilleure solution.
La difficulté avec les militaires qui n’ont jamais exercé un autre métier, c’est qu’ils n’ont pas conscience de ce que donne dans la réalité le statut de la fonction publique civile qu’ils voudraient plus ou moins imiter. Des modestes postes que j’ai occupés dans l’administration publique, j’ai vu de l’intérieur et analysé pendant vingt ans les dégâts provoqués par une hiérarchie parallèle qui est d’autant plus pesante pour les personnels que, n’ayant de comptes à rendre qu’à elle-même, l’arbitraire est sa règle.
La gestion des carrières se décide en commission paritaire où de facto le syndicat est le maître. J’en témoigne sans aucune aigreur parce que j’ai contourné le système en passant des concours qui me donnaient des droits inaliénables : dans la mesure où les jurys de concours ne sont pas aux mains du syndicat, le concours est le seul moyen pour obtenir de l’avancement sans le syndicat. Par tout autre moyen l’on est suspect d’allégeance plus ou moins discrète, ce qui est flatteur pour le syndicat ou pour les syndicalistes dont quelques uns se complaisent dans le rôle de Grand Manitou. Voilà ce que donnerait dans la réalité une banalisation du statut. La théorie est une chose, la pratique en est une autre et elle est décevante.
Je ne souhaite pas que ce système soit transféré dans le Régiment dont je suis un vigilant ancien, parce que ce n’est pas l’intérêt de nos jeunes qui ne sont d’ailleurs aucunement demandeurs. Il serait malsain de créer une hiérarchie parallèle et incontrôlée qui, dans la pratique, se révèle pénible pour tout le monde y compris pour ceux qu’elle prétend défendre.
Il y a cependant quelque chose à faire : résorber la regrettable indifférence des élus politiques envers les personnels militaires. Pour cela, comme je l’ai déjà écrit ici dans le billet intitulé «statut militaire », il faut que les militaires ne négligent plus de s’inscrire sur les listes électorales : les jeunes omettent trop souvent de le faire parce que, jeune engagé à dix-huit ans, l’on ne pense pas à ça ; les anciens parce qu’on a autre chose à faire quand on change de résidence pour deux ou trois ans. Il faut mettre en œuvre le droit de vote que nous avons depuis 1947 (un an après les femmes, galanterie oblige). Lorsque les élus sauront que les militaires, avec les familles, les amis et les anciens, représentent plusieurs centaines de milliers de bulletins qui peuvent tout changer, l’on écoutera sûrement, au moment de délibérer sur les lois de finances, un CEMAT qui évoque sans détour la paupérisation de son armée et la surchauffe.