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Antigone/Nicolas Sarkozy, le quiproquo

Publié le 13 mars 2009 par Lheretique

Je voudrais revenir sur l'une des principales références littéraires de Nicolas Sarkozy, à savoir la labdacide Antigone, fille du héros mythique célèbre et malheureux, Oedipe.

Je me suis demandé pourquoi Nicolas Sarkozy éprouvait une telle affection pour le personnage d'Antigone, affection, que je partage au demeurant. La pièce de Sophocle est à mes yeux la plus aboutie de toutes les tragédies connues. Car il s'agit bien de celle de Sophocle, et non d'une autre Antigone, la citation de Nicolas Sarkozy, ne laisse pas de place à l'équivoque quand il reprend la réplique fameuse d'Antigone à Créon, je ne suis pas née pour haïr mais pour aimer.

Il y a eu beaucoup de commentaires sur cette référence, et beaucoup de réactions d'individus indignés qu'on leur "vole" leur symbole. Je voudrais tout d'abord leur dire qu'Antigone est universelle. Elle n'appartient à aucune coterie.

En revanche, il est intéressant d'examiner les raisons pour lesquelles on la brandit comme un étendard.

A gauche, particulièrement à la gauche et de la gauche, on voit en Antigone le symbole d'une révolte, et très précisément, d'une révolte contre le pouvoir établi. A la limite, peu importent, finalement, les motivations profondes d'Antigone, l'important est qu'elle représente la minorité faible se révoltant contre l'oppression. Bien évidemment, la gauche de la gauche, et même parfois la gauche tout court, ont surréagi à la référence de Nicolas Sarkozy, estimant qu'il avait tout intérêt à relire Antigone.

Or, c'est en cela que réside le quiproquo : ce que Nicolas Sarkozy apprécie, chez Antigone, très vraisemblablement, et cela colle bien avec son tempérament et ses décisions, c'est sa capacité à transgresser, parce qu'en réalité, ce qu'aime Nicolas Sarkozy, c'est la transgression : inaugurer un nouveau style de présidence, faire bouger les lignes politiques apparentes, semer la confusion entre gauche et droite, gouverner au moins autant que présider, répliquer par un "sale con" à un spectateur qui refuse de lui serrer la main et cetera...toutes choses dont la presse et les médias sont très friands, au demeurant. Et, il se trouve que justement, c'est un aspect de la geste d'Antigone : car enfin, quelle est cette petite fille (c'est presqu'une fillette chez Sophocle !!!), de sang royal de surcroît, qui se mêle de politique et veut, en dépit d'un interdit admis depuis la nuit de temps (la loi de la cité prime sur toute autre considération) rendre les honneurs funèbres à son frère ? Des révoltes, il y en a toujours eu, mais ce qui indigne Créon par-dessus tout, c'est que la révolte vienne de sa propre famille, de sa propre nièce, alors que la famille royale incarne la cité de Thèbes par dessus tout ! Pour bien comprendre le geste d'Antigone, il ne faut pas considérer Polynice comme un gentil révolté : c'est quelqu'un qui attaque sa propre cité ! C'est un collabo ! en 1945, une femme qui aurait agi comme Antigone aurait été tondue. Il faut bien comprendre cet aspect pour saisir les enjeux véritables de cette tragédie. Il y a donc un interdit très profond que transgresse Antigone, à tort ou à raison, le débat demeure ouvert. Je pense que c'est cette capacité à transgresser qui plaît à Nicolas Sarkozy.

Une fois dit cela, on peut faire valoir un autre point de vue : certes, il y a transgression de la part d'Antigone, mais ce n'est pas une transgression pour de la transgression, et, sur ce second point, je suis très loin d'être convaincu qu'Antigone soit bien Sarkozyste...Pas plus qu'Antigone ne résiste pour résister ou ne se révolte pour se révolter (un peu comme l'Antigone d'Anouilh, par exemple). Antigone est surtout l'initiatrice d'un monde nouveau qui émerge sur les décombres de l'ancien. En temps de crise, il me semble que cet aspect donne à penser. Je ne cherche pas à récupérer Antigone au profit du MoDem (elle appartient au patrimoine de l'humanité, désormais, donc à tous et à toutes) mais, j'ai tout de même le sentiment qu'il y a une démarche commune entre ce qu'Antigone veut faire et la construction humaniste envisagée par François Bayrou et le MoDem.

Antigone n'est pas une révolutionnaire : elle ne cherche pas à renverser le pouvoir de Créon, elle veut juste verser de la terre sur le corps décomposé de son frère et n'hésite pas, en dépit de son jeune âge, à sortir en pleine nuit, alors que le vent siffle, et que peut-être les esprits errent, à venir près du corps de Polynice qui pue tellement que même des soldats chevronnés ne s'en approchent pas. Voilà ce qui est surhumain et nouveau de la part d'Antigone, c'est cette abnégation, et dans la foulée, la volonté de replacer l'individu, l'être humain, au centre de son action. Alors, fatalement, ce geste ne peut qu'entraîner une refondation des lois qui assuraient la bonne marche de la cité. Mais le projet d'Antigone n'est pas de nature politique, tout particulièrement au sens où l'entendaient justement les Grecs. C'est bien cela qui est novateur.

Finalement, Antigone accomplit un acte politiquement et religieusement inutile (rien ne peut plus empêcher la souillure de la cité) mais humainement nécessaire. C'est cette gratuité que moi, à titre personnel, j'ai aimé. Il ne s'agit pas non plus d'une lutte contre l'utilitarisme, comme certains ont pu le dire, mais tout simplement du refus d'en appliquer les principes dans les circonstances présentes.

Subir la mort, pour moi n'a rien d'intolérable. L'intolérable c'est de laisser pourrir sans tombeau le corps de mon propre frère, oui, c'est cela pour moi, l'intolérable. Mais maintenant ma conscience est en paix. Tu penses que je suis folle, mais le vrai fou, en vérité, c'est celui qui me traite de folle.


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