Une indemnisation est admise dans ce cas particulier :
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 12 février 1988 et 13 juin 1988, présentés pour la S.A. GARAGE DE GARCHES, société en liquidation amiable ayant pour liquidateur Mme X..., demeurant ... ; la S.A. GARAGE DE GARCHES demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 16 décembre 1987 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Garches (Hauts-de-Seine) à lui verser la somme de 3 000 000 F en réparation du préjudice résultant d'une part de l'arrêté du 12 septembre 1977 lui délivrant un permis de construire, d'autre part de la création d'un secteur piétonnier au centre de la commune par arrêté municipal du 6 septembre 1982 ;
2°) condamne la commune de Garches à lui payer la somme de 3 000 000 F, sauf à parfaire avec les intérêts de droit, ceux-ci étant capitalisés à la date de la présente requête ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mlle Valérie Roux, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Piwnica, Molinié, avocat de la S.A. GARAGE DE GARCHES et de la S.C.P. Nicolay, de Lanouvelle, avocat de la ville de Garches,
- les conclusions de M. Lasvignes, Commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité imputée à la commune en raison d'un engagement verbal du maire :
Considérant que si la S.A. GARAGE DE GARCHES soutient qu'en lui délivrant un permis de construire en septembre 1977, le maire de Garches se serait engagé, si le projet de construction du centre ville, en cours d'étude, venait à être adopté, à réaliser au profit de la requérante "un garage avec atelier et distribution d'essence sur la nouvelle voie", il ressort des pièces du dossier qu'il s'agissait d'une simple proposition sur la possibilité de prévoir une telle réalisation ; que cette proposition n'est pas de nature à engager la responsabilité de la commune ;
Sur la responsabilité imputée à la commune en raison des travaux de voirie réalisés :
Considérant qu'en décidant, par un arrêté en date du 6 septembre 1982, dont la légalité n'est pas contestée, de créer un secteur piétonnier au centre de la ville de Garches, le maire n'a pas commis de faute susceptible d'engager la responsabilité de la commune ;
Considérant, toutefois, que ces travaux ont eu pour objet de transformer la partie de la rue de Suresnes, où se trouvait le garage, en zone piétonnière spécialement aménagée dans laquelle la circulation automobile a été strictement réglementée ; que ces travaux ont eu pour effet de rendre l'emplacement jusque là occupé par la société requérante impropre à l'activité du commerce de vente et deréparation automobile et de vente de carburant à laquelle elle se livrait ; que la cessation de l'activité de la société requérante résulte directement de cette opération d'aménagement qui, en raison du préjudice anormal et spécial qu'elle a causé, est de nature à engager la responsabilité de la commune même en l'absence de faute ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A. GARAGE DE GARCHES est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à ce que la commune de Garches soit déclarée responsable du préjudice subi par elle, et à demander dans cette mesure l'annulation du jugement attaqué ; qu'il y a lieu en vertu de l'effet dévolutif de l'appel de se prononcer sur les conclusions aux fins d'indemnité présentées par la société requérante ;
Sur l'indemnité :
En ce qui concerne les frais exposés à la suite du permis de construire accordé en 1977 :
Considérant que la société requérante a été expressément informée par la commune par lettre du 3 juin 1977 de la réalisation prochaine d'une zone piétonnière interdite aux voitures ; que dans ces conditions le coût des travaux réalisés en 1978 par la société requérante ne saurait être mis à la charge de la commune ;
En ce qui concerne les loyers et la perte du droit au bail :
Considérant que pour conserver le bénéfice de son bail commercial afin de tenter de le céder, la société requérante a continué à payer les loyers de son établissement ; qu'elle demande à ce titre une indemnité de 500 000 F ; qu'il ressort cependant de l'instruction d'une part qu'elle inclut dans cette somme les loyers afférents à l'année 1982, au cours de laquelle elle n'avait pas cessé son exploitation, et d'autre part, qu'elle ne justifie que du paiement des loyers afférents aux années 1983 et 1984 ; qu'il y a donc lieu de limiter ses prétentions de ce chef à la somme de 268 640 F ;
Considérant, en revanche, que la société n'établit pas dans quelles circonstances elle aurait perdu le droit au bail dont elle bénéficiait ; qu'elle ne saurait dès lors prétendre à indemnité de ce chef ;
En ce qui concerne les "pertes financières" :
Considérant qu'en raison de l'importance du préjudice subi, il sera fait une juste appréciation de ce dernier en fixant à 700 000 F, montant de la demande présentée en première instance par la société requérante, l'indemnité due de ce chef à celle-ci par la commune de Garches ;
Sur les intérêts :
Considérant que la S.A. GARAGE DE GARCHES a droit aux intérêts de la somme de 968 640 F à compter du jour de la réception de sa demande par le maire ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 12 février 1988 et 25 juillet 1989 ; qu'à chacune de ces deux dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 16 décembre 1987 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la S.A. GARAGE DE GARCHES relatives à l'indemnisation du préjudice résultant des travaux de voirie.
Article 2 : La commune de Garches est condamnée à verser à la S.A. GARAGE DE GARCHES, la somme de 968 640 F, avec intérêts au taux légal à compter du 5 février 1986. Les intérêts échus les 12 février 1988 et 25 juillet 1989 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la S.A. GARAGE DE GARCHES est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la S.A. GARAGE DE GARCHES, à la commune de Garches et au ministre de l'intérieur et de la sécurité publique. »