Pour les politiques, faire 13,9 milliards de bénéfices impose le devoir de sauvegarder l'emploi. Pour Total, c'est exactement le contraire ! Chez le titan pétrolier du Cac 40, on n'imaginait pas que ces 555 suppressions de postes provoquerait un tel tollé : l'annonce officielle de l'opération présente une «modernisation de l'outil industriel» et en aucun cas un plan social, que des départs en retraite ou pré-retraite. « Nous n'avons aucun commentaire à faire sur les questions politiques », nous préviens un représentant du groupe.
Super bénéf, AZF, 19 mars... le mauvais timing !Seul problème, Total a probablement choisi le pire moment possible pour dégainer sa restructuration : un mois après l'annonce de résultats 2008 mirobolants, 13,9 milliards de bénéfices consolidés, les meilleurs chiffres obtenus par une entreprise française dans toute l'histoire de l'économie, le groupe est en ce moment même assis au banc des accusés du procès de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse. Le groupe a aussi été mis en cause dans les évènements de Guadeloupe et de Martinique, à propos du prix exorbitant de l'essence dans ces îles. Trois semaines après l'annonce d'une hausse de 4,3% des inscrits au Pôle emploi, le dégraissage de Total fait tâche.
Côté opposition, c'est l'indignation généralisée : d'Alain Vidalies, secrétaire national du PS à l'emploi, à la première secrétaire Martine Aubry, qui condamne une « absence de responsabilité sociale », l'artillerie lourde est déployé pour appeler à la « mobilisation » des bénéfices de Total pour compenser socialement les pertes d'emplois. L'occasion pour Ségolène Royal de revenir sur le devant de la scène et de ressortir sa proposition de «prélèvement des bénéfices » du pétrolier par l'Etat, déjà brandie à la mi-février, cette fois-ci en direction des énergies renouvelables. Même rage au PCF et chez Bayrou, qui invoquait sur Europe 1 « le devoir de défendre les emplois dans le pays qui vous a fait ce que vous êtes ».
Mais c'est surtout côté gouvernement que l'on tente de tonner bien fort : généralement d'un calme olympien, le secrétaire d'Etat à l'Emploi Laurent Wauquiez a fait main basse sur tous les micros et caméras à sa portée pour dénoncer une décision qui lui restait « en travers de la gorge ». Et pour cause : à une semaine des manifestations unitaires du 19 mars, suite annoncée du 29 janvier, ces 555 suppressions de poste sont vécus par l'Elysée et Bercy comme une pure et simple provocation.
L'impunité fiscale Total : le vrai scandale !Mais en 24 heures, le ton est déjà descendu au gouvernement : « L'annonce de Total était inacceptable en l'état. Mais on négocie avec eux, on n'a pas envie de les braquer », confiait un conseiller de l'Elysée au quotidien Les Echos. Il est vrai qu'après la contribution pour la prime à la cuve, la proposition du secrétaire d'Etat à l'Emploi d'une « geste » pour l'emploi des jeunes passera mieux avec le sourire.
Le groupe maintient néanmoins sa surprise et avance la légitimité industrielle de ces suppressions de poste : « le grand arrêt de la raffinerie de Gonfreville est une adaptation de l'outil industriel qui vise à diviser par deux la production d'essence qui ne trouve plus preneur en France et à augmenter celle de diesel : il n'y a pas de destruction d'emploi, nous allons en créeront 800 en 2010 et 1100 en 2011 », répète un représentant de Total. Avec des pertes dans sa branche pétrochimie (où il supprime 306 postes) et une conversion des constructeurs automobiles Français au diesel depuis 15 ans qui amène à des importations massives de Russie au détriment de sa branche raffinage (249 postes de moins), la restructuration semble économiquement justifiée.
Mais le fond du problème est tout autre : de par son envergure internationale, sa myriade de filiales et ses bureaux étrangers... Total ne contribue que marginalement à l'effort fiscal, 500 millions environ sur ses 13,9 milliards de bénéfices en 2008 ! La raison ? Le groupe réalise une part très réduite (environ 5%) de ses chiffres dans l'hexagone, ce qui infirme, comme le remarquait Nicolas Cori de Libération sur son blog, la thèse, développée par un journaliste du Point, selon laquelle le groupe verserait au total 10 milliards d'impôts, y compris la taxe professionnelle...
Les porteurs des 10 millions d'actions du groupe, dont les dividendes ont été évaluées à la hausse de 10% cette année, bénéficient bien plus des subsides du pétrolier français que les 60 millions de contribuables, contrairement à ce que tentait de faire croire Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, pour faire passer la pilule. Sans compter le fait que, sous ses airs d'investisseur éclairé, le groupe continue d'injecter la majeur partie de ses budgets recherche et développement à prospecter de nouveaux gisements pétroliers et non, comme essaient de le prétendre ses campagnes de pub lénifiantes, à chercher les énergies de demain. Philippe MARX - Agir ! Réagir !