Philippe Herreweghe signe, avec l'ensemble du Collegium Vocale de Gent, l'un des plus beaux enregistrements de ces derniers mois, sur un répertoire de compositions polyphoniques passionnantes. Il s'agit des Cantiones Sacrae sex vocum, composées à la fin de sa vie par Roland de Lassus.
Ces motets, écrits pour un effectif à six voix (effectif d'origine de quatre voix avec doublement du cantus et du tenor), constituent une merveilleuse synthèse des différentes inventions expressives qui ont toujours fait le caractère singulier de la polyphonie de Roland de Lassus, par rapport à des contemporains comme le romain Giovanni Pierluigi Palestrina qui, quant à lui, procédait à un déploiement plus linéaire et austère du champ polyphonique. Roland de Lassus avait en effet le génie de ciseler le chant polyphonique en articulant le rythme selon l'évolution du récit.
Les 14 motets qui constituent ce corpus, relèvent du même schéma, même si le maître, arrivant au terme de sa création et pressentant la mort, démontre moins d'audaces rythmiques et harmoniques, pour rechercher une certaine épure. La plupart de ces motets s'adossent à des textes sacrés, pour la plupart de l'Ancien Testament. Les motifs sont souvent initiés par un groupe de voix, repris ensuite en contrepoint, par imitation, par un autre groupe de voix pour conduire à cette forme de "tuilage" caractéristique du schéma polyphonique traditionnel. Toutefois, après avoir conduit les différents groupes de voix à suivre un schéma autrement plus complexe au fil du déroulement du texte, il les fait converger en accord par une magie fascinante à certains moments qui viennent ponctuer le texte.La plupart de ces motets sont très aériens, portés par l'ampleur sonore singulière que procure un groupe de huit chanteurs (Philippe Herreweghe a opté pour une configuration doublant chacun des registres : Cantus, Alto, Tenor, Basse).
Philippe Herreweghe procède à une lecture
d'une pureté et d'une transparence inouïes, avec une sobriété qui ne
rime absolument pas avec la moindre austérité. Dans chacun de ces motets, Roland de Lassus révèle des climats très différents mais dont les couleurs sont déployées avec
une délicatesse extrême. La cohérence et l'homogénéité du groupe de
huit chanteurs du Collegium Vocale de Gent permet de savourer les
moindres détails de ce subtil déploiement sur chacune des pièces exécutées. L'excellente qualité d'enregistrement vient ajouter une véracité saisissante avec la possibilité de savourer
pleinement la plénitude sonore et les respirations de chacune de ces
pièces.
Chaque motet est un véritable chef d'œuvre. Le niveau de recueillement
qu'ils incarnent pour la plupart est extrême. C'est particulièrement le
cas pour le Prolongati sunt dies mei, qui traduit de façon émouvante
les douleurs et la lassitude de Roland de Lassus, affrontant une
vieillesse qui chaque jour lui annonce l'inéluctable chemin vers la
mort. L'Ad Dominum cum tribularer est saisissant par ses audaces
harmoniques et son caractère presque madrigal. Les "traits aigus du
guerrier, les charbons ardents du genêt" sont traduits par une ligne
mélodique acérée et d'une dynamique incroyable. Le Vidi calumnias quae sub sole gerentur
démarre avec presque toutes les voix en accord pour inonder l'espace
sonore de leur rayonnement divin. Enfin, Roland de Lassus apporte une
lumière éblouissante avec le Baetus homo, traduisant, avec les voix à
l'unisson, la béatitude tant recherchée. Le Diligam te, Domine, avec ses dissonances et ses frictions harmoniques, emporte littéralement l'auditeur dans un vertige particulièrement troublant.
Ce disque est magnifique. Philippe Herreweghe, avec un travail
minutieux, précis et d'une finesse exceptionnelle, nous révèle toute la
force de ces pièces avec une évidence époustouflante.
Je l'ajoute aux coups de cœur 2009.
Lien direct vers le site d'Harmonia Mundi pour plus de détails.
Roland de Lassus - Cantiones Sacrae sex vocum - Collegium Vocale de Gent - Direction Philippe Herreweghe - Label Harmonia Mundi.