À Bordeaux, le retour de vacances semblait dur pour le mouvement universitaire. Seule la faculté de lettre et sciences humaines, Bordeaux III-Montaigne, semblait tenir, et même durcir massivement sa mobilisation. Enseignants et étudiants y ont voté lundi, à la quasi unanimité, le blocage diurne de l'université.
À Bordeaux IV-Montesquieu (droit et d'économie), l'une des plus actives au début du mouvement, un net déclin de vitalité s'est fait ressentir depuis la décision prise par les enseignants de reprendre les cours. Le comité de mobilisation a donc choisi de radicaliser son action, notamment en faisant voter à la dernière Assemblée générale le blocage les jours de manifestation: « On a pas d'autre choix que de se radicaliser », explique un membre du comité. Un autre développe cette idée:
« La coordination nationale des étudiants a appelé à un blocage des facs. Celle des profs a appelé à un durcissement du mouvement. Le blocage n'est pas une fin en soi. Il s'agit de permettre vraiment aux étudiants d'aller à la manifestation de cette après-midi. Ce sera donc à recommencer lors des prochaines journées de mobilisation. Les blocages de facs sont destinés à amplifier la massification du mouvement ».
Une véritable opération militaire
Il sont donc passés à l'acte dans la nuit de mardi à mercredi. À 22 heures, tout le monde est tendu dans l'amphithéâtre Auby, qui sert de QG. Ce sont les derniers préparatifs avant de profiter de quelques instants de sommeil. L'action commencera à 3 heures du matin. Il faut tenir l'université avant son ouverture. Des plans et photos de Google Map sont étalés sur les bureaux de l'amphi. On finit de répartir la quarantaine d'étudiants dans les cinq équipes constituées.
Parmis elles, l'équipe numéro un a pour mission de s'infiltrer dans l'université au moment du relais des vigiles. Mais on préfère rester discret sur les moyens d'accès, ce qui est justifié pendant le dernier briefing:
« On ne peut pas dire aux autres équipes comment ils s'infiltreront, afin de garder ces moyens d'accès préservés pour les prochains blocages. Si on vous demande comment on est entrés: vous ne savez pas ».
A 3 heures, c'est le branle-bas de combat. Du soutien est arrivé, la mission se fera finalement avec une soixantaine de bras. Dès le signal, les uns sont chargés d'ouvrir l'université, pendant que les autres s'affairent à s'infiltrer dans les salles de TD pour y récupérer la « logistique » permettant de bloquer les issus.
Le plan marche finalement mieux que prévu. En une heure, l'ensemble de l'université est bloqué. A 5 heures du matin, on a du mal à y croire: « L'objectif est rempli, c'est presque trop pour être vrai. Le plan était au point, il a marché ». Un blocage total qui s'avère être une première ici, et qui diffuse comme une vague de sérénité et d'euphorie parmi les étudiants participants à la « mission ». Deux craintes subsistent: l'intervention des forces de l'ordre et d'affrontement avec d'autres étudiants.
Une démarche pédagogique
Des tables sont alors installées devant l'entrée principale, afin d'expliquer aux étudiants les raisons du blocage. Selon l'un des coordinateurs de l'action:
« C'est pour montrer aux étudiants de Bordeaux IV, et d'une manière générale à tous les étudiants, que lorsqu'ils décident quelque chose en Assemblée générale, ils peuvent le faire. C'est montrer aux étudiants de Bordeaux IV, que cette fac, on peut la bloquer et on peut la tenir. C'est aussi pour tous ceux qui ne se sont pas encore intéressés directement au mouvement: ils arrivent ce matin devant une fac bloquée, et viennent s'informer. Ils se rendent compte qu'en fait, nous ne sommes pas des bloqueurs, mais des étudiants comme eux, mobilisés sur des thèmes qui peuvent les concerner ».
Dès le début, la détente et l'ouverture sont placées au centre de cette action. Les consignes étaient de rester calme et de ne surtout pas céder aux provocations. À l'arrivée des premiers étudiants vers 7 heures et demi, la démarche est donc d'aller vers eux, de discuter, et de les inviter à se rendre au Forum de l'éducation se tenant en même temps à l'université Bordeaux III.
Après un bref passage de l'administration, un vigile annonce que l'université sera fermée toute la journée. Il n'y aura donc pas de heurts. Les coordinateurs de l'action sont satisfaits:
« Une journée comme celle-là, pour nous, étudiants mobilisés, nous montre que plus que le nombre, c'est la détermination, la volonté, et surtout la cause qui comptent ».
L'Assemblée générale qui s'est tenue aujourd'hui a de nouveau voté le blocage les jours de manifestations avec une large majorité.
Crédit photos: Christophe Payet