Magnifique passion animant Bernard Hoepffner et Christophe Claro , l’autre soir, dans la salle blanche de la Librairie Kléber!
Ces deux-là ont la clé du plaisir. Celle qui ouvre la porte sur le jardin de l’Autre: l’autre univers, l’autre écrivain, l’autre langue, l’autre culture…Plaisir au coeur de ce labeur qu’ils assument sans même penser à l’évoquer, justement en terme de travail à accomplir. Lorsque Bernard Hoepffner raconte sa journée de traducteur (”d’abord en début de matinée, je traduis Mark Twain, par exemple,
puis vers 10 heures, un café, alors je m’attèle à un auteur de la Renaissance (mon époque préférée, cette époque où les écrivains de l’Europe étaient eux-mêmes traducteurs), dans l’après-midi, je peux traduire un programme ou un dépliant, puis je travaille sur. ..”), lorsque Bernard Hoepffner parle ainsi, ce n’est certes pas pour se plaindre, mais pour mieux expliquer la part nécessairement évidente du traducteur dans la traduction qu’il livre.
-Si je suis amoureux, ou ai trop bu la veille, ma traduction s’en imprègne. Ou lorsque je viens de traduire un auteur de la Renaissance, un peu de lui passe dans Marc Twain. c’est ainsi. Il n’y a pas une traduction figée, mais des traductions…
Bernard Hoepffner traduit 6 à 7 ouvrages en même temps!
-J’en ai besoin dit-il.
Et Claro, ce “chasseur de trésors littéraires”, de détailler avec la même gourmandise, la recherche des écrivains non encore traduits. La plongée dans la langue de l’autre. Les réserves des éditeurs qu’il faut convaincre. Le soin à inventer une écriture qui permette à un lecteur ne lisant pas l’anglais, d’approcher l’univers d’un auteur qui lui serait impossible de rencontrer William T. Vollmann, par exemple.
La traduction n’est nullement un calque. Il est pratiquement impossible de rendre compte à l’identique d’un texte, d’une langue à l’autre, puisque la culture qui l’enserre est par définition différente. Impossible défi, donc!
Tous deux parlent sans amertume de la non reconnaissance du traducteur, en France. Dans la plupart des cas, son nom n’apparaît même pas en page de garde! Ils en rient. Mais c’est pourtant leur combat, cette reconnaissance! Se prêter à des discussions comme celle-là, avec le public. Pour expliquer. Pour faire reconnaître le vrai rôle du traducteur. Pas tant ce “passeur”, comme on le dit souvent, que cet écrivain à part entière. Réécrivain. Homme de désir, aux prises avec le poids des mots portant les cultures qui nous façonnent, inventeur d’une littérature de l’ailleurs, à laquelle, sans lui, nous n’aurions pas accès.