Lauréat n°1

Par Unevilleunpoeme
LA MEMOIRE ET LE RAKI

Le Bosphore, je l'ai dans les yeux
Calme comme le ney qui s'endort
Je pleure des türküs malheureux
De vers en verres en cornes d'or,
La mer noire, il faut la penser
Dans les voiles de la nuit qui tombe
Elle coule en anis étoilé
Des fraîcheurs bleues de catacombes ;
Je suis l'immense voie lactée
Cette infinité des épices,
J'exhale du christal ensablé
La gloire de tes temps jadis
Comme Byzas le bien aimé
Petit fils de Poséïdon
Jaillit la Cité des Cités
Des abysses noirs et profonds
Exhume la Thrace des mers
Où nous naviguions en eaux troubles
Conquérants des amours chimères
Les nuits où l'esprit se dédouble
L'Europe a commencé ici
A l'abri des souffles barbares
Caillots de lumières rubis,
Mourants aux plages de mes remparts
Je revois ces orgies de miel
Et ces mers d'or de céréales
L'esclave s'exclaffant au soleil
Du fruit oranger lacrymale
Ô l'Athènes des saveurs antiques
Ô Sparte des sacrifices passés
Vos grandeurs dès lors ont sombré
Aux miroirs d'océans mystiques
Et le pourpre d' élans romains
Laissant les visages livides
La folie des temps justiniens
Qui se tramaient sous les chlamydes
Renais divine Theodora
Renais la catin de l'Empire
A Sainte Sophie il pleure parfois
Le murmure des derniers soupirs
Ô senteurs des splendeurs passées
Au ventre de ton firmamant
Quand je voguais, alcoolisé
Ma semence de lion coulant
En méandres entre tes seins pâles
Noyant ton corps efflorescent
Je giclais en ivresses mâles
Et toi Théodora, mon sang
Les nazars boncuks éclatants
Constantinople déjà morte
Regardent passer les ottomans
Qu'on discerne la Sublime Porte
Allah tout puissant, protégez
Les chat-ires de l'Anatolie
Quand deux verres d'eau pour un mezze
Dissimulent le lait interdit
Et j'humectais jusqu'à la moelle
Lors qu'on jouit dans les délices
Baignant au harem des étoiles
Et que les tulipes tapissent
L'aurore des fractales turquoises
Sur ce Bosphore marqué d'iris
D'où me douchent en lumières sournoises
Ces réminiscences de l'anis
Ce vent brûlant des Dardannelles
Dans les tranchées froides où j'afflue
Ces mains qui ont peur et m'appellent
Ces mains d'enfants tristes que l'on tue
Ce vent brûlant qui me remplit
Comme un reflet qui s'illumine
Comme un long feu d'artillerie
S'enflammant de comêtes fines
Et dans mes transparences souffrent
Le poème de mes nuits revêches
Ce vent brûlant et qui s'emgouffre
En défilés de gorges sèches
Il est mort, Kemal, c'est fini !
Ses yeux bleus désormais émergent
Du temps sur les murs de Turquie...
Quand l'ôde du Raki me submerge...
Aurélien Roulland.