[Sorel s'invite sur mon blog] Musica Nuda

Publié le 12 mars 2009 par Listenseefeel
Grosse nouveauté pour moi, en effet aujourd'hui ce n'est pas un des mes articles que vous lirez, mais celui de Sorel qui a eu envie de partager sa passion pour Musica Nuda et sa charismatique chanteuse Petra Magoni.
Crédit photo : Photo Rod | Le-HibOO.com

Écouter un artiste sur scène prend une autre dimension et c’était bien le cas avec elle qui donnait l’impression de réaliser une véritable performance vocale, en plus qu’elle offrait un bon contact avec le public. Elle se montrait amusante, énergique, séduisante aussi il faut le dire. Cela ne me semble pas ou plus très original d'associer l'aptitude au chant à l'aptitude à la sensualité, mais cette chanteuse me semble bien illustrer cette idée au regard de l'étrange érotisme qu'elle dégageait sur scène. J’aimais bien l’aspect presque "A Capella" de sa prestation, n’était la présence de la contrebasse et la façon dont elle s’investissait dans ce qu’elle chantait, la manière presque physique avec laquelle elle chantait, cliché mis à part. Ses vocalises, les jeux vocaux qu’elle faisait m’évoquaient un peu la chanteuse Camille aussi, mais bon cela ne regarde que moi. Elle chantait avec une vibrante intensité, pouvant se montrer à la fois émouvante, envoutante aussi, ou bien tonique, et ne manquait pas d’humour. C'est en cela que pourrait se présenter la "néo pop", un réinvestissement des grands tubes, mais d'une certaine manière en suivant le processus inverse de la chanson pop moderne et en revenant à une épure, à un rapport des plus simples, des plus immédiats à la musique, à l'instrument. Musica Nuda nous fait saisir l'éminente musicalité du silence, le silence sur lequel se pose les sons lourds de la contrebasse, le silence d'où s'élève cette voix stellaire. On peut être saisi par ce mélange entre le rapport très simple au public, juste celle d'une voix avec les sons graves de la contrebasse et la manière dont elle peut aussi susciter l'enthousiasme du public avec une énergie et une attitude de rock star, comme est originale également l'intrusion de vocalises de la part d'une chanteuse lyrique de formation (celle qui peut chanter Amarilli ou Lascia ch'io pianga) dans un son pop tonique servie avec l'énergie d'une rockeuse, celle que sait donner une jeune femme contemporaine et imprégnée de la culture pop.

On constate une évolution chez elle également, une évolution en assez peu de temps d'ailleurs. La chanteuse que j'ai vue en vidéo n'est pas la même que celle que j'ai eu la chance de voir se produire sur scène à Boulogne. La première est plus sage, presque timide peut-être. La deuxième est plus excentrique dans sa tenue et sa coupe de cheveux comme elle est plus relâchée sur scène. Elle n'hésite pas à se laisser porter par son instinct et à adopter n'importe quelle position sur scène, parfois pliée en deux. Le spectateur remarque les contorsions ou même les convulsions de sa silhouette gracile, sinon efflanquée. Oubliant les préceptes d'une conventionnelle élégance, elle est, par là élégante, parce que faisant corps avec sa musique.
Un des aspects de la "néo pop" serait donc justement d'explorer l'en deçà du langage. Petra est une Artaud de la chanson. De la même manière que l'auteur du Théâtre et son double fustigeait l'hégémonie du langage dans la dramaturgie occidentale, Petra s'oppose au monopole des paroles dans la chanson, instaurant des respirations, des bruits vocaux de toutes sortes qu'il est difficile de qualifier. Voilà pourquoi il s'agit de renverser un processus puisque la pop est justement le signe de la culture musicale moderne là où ce que cette "néo pop" proposerait serait à un retour à un rapport instinctif, primaire à la musique. Déstructurant l'original, les reprises de ce duo sont de véritables créations, inspirées. Au début de la chanson de Come Together à Milan, elle se penche sur la contrebasse, s'amuse à la frotter comme un homme, ou une femme, préhistorique qui découvrirait un nouvel objet et l'expérimenterait. Comme elle sait aussi se lancer dans des sortes de danses tribales, où elle semble comme défier cette contrebasse. Réécoutez la version des Beatles et vous aurez l'impression qu'elle a mille ans. Les "quatre garçons dans le vent" ont l'air d'enfants de chœur à côté de la punk Petra. Punk parce que sauvage, agressive, bestiale dans sa manière d'attaquer la chanson, de mordre dans le micro. Elle a d'ailleurs laissé de côté le sage chignon et la presque sobre petite robe rouge pour une coiffure un peu particulière, une sorte de frange associée à une queue de cheval, une tenue extravagante, un top bleu avec une jupe et des bottes dorées, l'ensemble ayant un aspect peut-être un peu punk. Sa manière de se tenir participe également à lui donner un côté un peu ado.

Elle peut chanter parfois avec l'agressivité soul d'une Tina Turner par exemple comme dans Nature Boy où cohabitent à la fin de la chanson une soul rageuse et d'inspirées vocalises un peu délirantes. Dans cette chanson règne une certaine atmosphère à la fois mystérieuse et peut-être légèrement inquiétante dans la mesure où cette rencontre avec le Nature Boy qui révèle une vérité fondamentale a quelque chose de crucial et d'un peu surnaturel. Petra commence doucement pour progressivement révéler la "panthère" qui se trouve en elle. Rock et musique classique se réunissent de manière toute légitime dans l'expression de l'intensité des émotions, de la violence des passions.
Musica Nuda, imposant leur univers musical mélangé va au-delà des frontières entre genres musicaux, dépoussière les standards de la pop, du jazz, de la chanson italienne et française. L'interprétation est création pour l'artiste Petra Magoni.
Dans Sacrifice, Petra propose une voix qui est comme un souffle au départ pour ensuite se présenter comme un peu voilée, cassée, chargée d'émotion, une voix qui est toute l'essence de la soul. Dans cette chanson à l'ambiance intimiste, la jeune femme d'origine toscane peut donner l'impression d'une chanteuse qui nous ferait part de ses déboires amoureux dans un bar au fin fond de l'Amérique. La voix semble parfois comme chargée de sanglots.
Petra est en fait poignante dans le rapport viscéral qu'elle semble entretenir avec la musique aussi bien dans les chansons apparemment davantage portées vers l'énergie que l'émotion Come Together mais à laquelle elle semble se donner comme si sa vie en dépendait que dans une chanson comme Guarda che luna.

Guarda che luna est une chanson de 1959, un standard d'une sorte de crooner italien Fred Buscaglione que revisite l'ouragan Petra Magoni. À certains moments de la chanson, on peut avoir le sentiment de sons qui heurtent l'oreille, de sons même dysharmonieux mais que l'on ne dénigre pas parce que comme elle le dit dans une interview elle laisse parfois le dessus à l'émotion sur la technique. Elle peut ainsi pour exprimer une émotion risquer de produire une interprétation imparfaite techniquement. Dans la chanson Guarda che luna en particulier dans le concert à Paris en mars 2006 elle peut faire penser à la Phèdre de Racine dans l'évocation des tourments de la passion amoureuse "folle d'amore vorrei morire". La chanson peut donner l'impression d'avoir la même valeur cathartique que les tragédies classiques. En tout cas, si cette chanson n'en permet pas l'expurgation, elle brasse les passions à l'instar de la tragédie, la passion amoureuse en particulier. La chanson me semble pouvoir réveiller les émotions les plus vives chez le spectateur, "prendre aux tripes" pour le dire trivialement. Par son jeu scénique elle peut même évoquer par exemple la prestation de Dominique Blanc dans la mise en scène de Phèdre par Patrice Cherreau par le travail sur le corps, l'évocation d'un corps supplicié par la passion amoureuse. On peut être sensible ainsi à la suffocation intervenant au milieu de la chanson, un autre exemple de cette expression verbale périphérique aux paroles. À d'autres moments de la chanson, les mots semblent danser dans sa bouche pour évoquer cette fois la tendresse manifestée par l'amoureuse. "De la musique avant toute chose", les mots semblent davantage évoquer par leur rythme que par leur signification qui de toute manière échappe aux non-italianisants. L'espèce de cri final, ce "cri de chair" selon une formule cioranienne apparaît comme l'expression de ce que les paroles ont été le long de la chanson impuissantes à dire.

On pourrait continuer la comparaison avec Artaud en parlant de "musique de la cruauté", en tout cas Musica Nuda sait créer il est vrai une certaine atmosphère dans leur chanson qui peut être inquiétante si l'on veut, en rapport avec des émotions profondes à vrai dire. Le duo ne propose pas une musique de consommation. Petra est presque une sorte de "performeuse" qui engage son être sur la scène, ce que l'on peut sentir par exemple dans un passage de Prendila cosi où elle se laisse emporter ensuite dans une suite de vocalises, une série de poussées à l'octave qui sont plus généralement une des marques de son chant et qui sont plus présents dans la version du DVD datant de 2006 que dans le CD enregistré en studio et qui date de 2004, une preuve que ainsi qu'ils le disent ils chantent bien souvent d'une manière différente et preuve aussi d'une évolution des mêmes titres au cours de leur carrière. Le génie interprète de Petra Magoni apparaît dans ce genre d'improvisations. Ce sont justement ces poussées à l'octave qui sont plus présentes avec le temps, dans les versions les plus récentes de différents titres, c'est le cas de Prendila cosi donc, de I will survive, ou encore de Nature Boy, la liste n'étant pas exhaustive. La version milan 2008 de Come Together apparaît même comme une sorte de feu d'artifice de ce point de vue, j'aime bien mais certains pourraient trouver que c'est trop. Prendila cosi s'achève par le chuchotement répété du titre de la chanson, on est là encore tout au long du morceau à mille lieux du standard italien de Battisti qui est complétement revisité. Son chant est l'émotion à l'état pur qui touche parfois aux tréfonds de l'être, aux entrailles, dans une sorte de déchirure comme dans un passage de Io sono meta.
Dans une chanson comme Non andare via ou La pittrice di girasoli, elle pose une voix douce et mélancolique, poignante, sans oublier bien sûr les chants lyriques pré-cités. Polymorphe, insaisissable, il y a deux, trois, voire quatre ou plus chanteuses en elle. A-t-on vu jamais monstre au si doux visage? Rockeuse lyrique, tragédienne ou encore étonnante chanteuse disco, sa voix swingue ou se fait dolente, atteint des sommets d'aigus ou bien se montre rauque, profonde. Il me semble que l'"appareil" classique (contrebasse plus formation lyrique de la chanteuse) sert paradoxalement ici une musique hyper-moderne.
D'aucuns trouveraient peut-être qu'elle "en fait trop", que ce n'est pas assez "naturel" peut-être. Mais moi je pense que le jeu fait partie de la chanson, j'applaudis sa présence scénique et je la dirais avant tout habitée.Sorel
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