Disons-le tout net : le PS, pourtant dirigé par la fille de Jacques Delors, montre une nouvelle fois que l’Europe reste largement étrangère à sa culture interne. Comme l’a montré la
composition des listes le week-end dernier, pour lui, les élections européennes sont juste un moyen de récompenser les affidés des différents courants qui le composent, sans tenir aucun compte de
la compétence des futurs élus. On peut même dire que la compétence peut se retourner contre celui qui en est doté, comme en témoigne l’éviction de Gilles Savary, l’un des rares socialistes
français à peser à Strasbourg (qui peut dire merci à Vincent Peillon et David Assouline). Certes, le PS n’est pas le seul dans ce cas, l’UMP n’ayant pas donné une meilleure image de son
engagement européen en évinçant brutalement l’excellent Alain Lamassoure de la tête de liste du sud-ouest au profit du pâlichon Dominique Baudis qui n’a laissé aucun souvenir de son précédent
passage à Strasbourg. Nicolas Sarkozy qui plaidait pour que la France « envoie les meilleurs » au Parlement européen n’a ni donné l’exemple, ni été entendu par ses adversaires. Après
cela, étonnez-vous que la France n’ait guère d’influence au Parlement européen.
Sur les 31 députés socialistes sortants, on n’en retrouve que 11 en position éligible, les socialistes ne comptant guère rééditer leur exploit électoral de 2004 : s’ils ont une vingtaine d’élus, ils pourront s’estimer heureux. Soit, quand même, 20 sortants sur le carreau. Michel Rocard, Martine Roure, Bernard Poignant et Catherine Guy-Quint ayant décidé de raccrocher les gants, ils ne sont en réalité que 16 à avoir été réellement virés. Pour avoir démérité ? Que Nenni ! Il s’agit évidemment d’équilibre entre courants. Cela étant, mis à part Savary (qui a dû laisser sa place à Éric Andrieu dont les fonctions de vice-président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon annoncent une présence épisodique à Strasbourg) et les quatre qui ont renoncé à se représenter pour raisons personnelles, personne ne regrettera les sortis qui n’ont guère brillé durant la mandature écoulée. C’est sans doute autant de leur responsabilité personnelle que de la faiblesse structurelle de la délégation socialiste française, profondément divisée entre ouiste et noniste, qui les a privés de tout poids réel au sein du Parti socialiste européen.
Ceux qui ont réussi à jouer des coudes ne sont guère plus brillants que les sortis : pour ne s’en tenir qu’à deux célébrités de la scène politique hexagonale, qui connaît Benoît Hamon, le porte-parole du PS, ou Vincent Peillon au Parlement européen ? Personne. Combien de rapports (un pour Hamon, deux pour Peillon), quel taux de présence dans les commissions parlementaires ? Ils étaient bien plus occupés à assurer leur avenir politique en France qu’à travailler à Bruxelles. L’Europe, pour eux, c’est surtout une planque confortable que l’on attend de quitter pour un mandat national (comme Pierre Moscovici l’a montré). On reste aussi sidéré de voir que Stéphane Le Foll, proche de François Hollande, a réussi à s’assurer une place éligible (aucun rapport, cinq prises de parole en cinq ans en plénière…). Le PS a même réussi l'exploit d'inventer le parachute par anticipation: Aurélie Filippeti, députée nationale, craignant de voir sa circonscription supprimée lors du redécoupage électoral a exigé et obtenu une place éligible dans l'Est... Dès lors, pourquoi ne pas donner leurs chances à des Isabelle Thomas, conseillère régionale de Bretagne, Gilles Pargeaux, premier secrétaire fédéral de Normandie, Estelle Grellier ou Sylvie Guillaume, adjointe au maire de Lyon? Vous ne les connaissez pas ? Ce sera sans doute encore le cas dans cinq ans.
Heureusement que Pervenche Berès, la présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, a réussi à sauver sa place (seconde en Île-de-France). C’est bien la seule, dans cet aréopage pâlichon, à avoir su gagner le respect de ses pairs, même si elle rame sérieusement depuis qu’elle a appelé à voter non au traité constitutionnel européen, qu’elle avait pourtant approuvé dans un premier temps pour l’avoir négocié. Mais en restant fidèle jusqu’au bout à son maître Laurent Fabius, ce qu’elle a perdu à Bruxelles, elle l’a assuré à Paris. CQFD.
Jean Quatremer