Médecin et patient. Illustration. © Alessandra Schellnegger/zefa/Corbis/Alessandra Schellnegger
Que d'éruptions! Ça fait quelques journées de consultations qui se soldent par la venue d'enfants, souvent en bas âge, entre 5 mois et 8 ans, avec un rash cutané.
Si certaines de ces éruptions sont faciles de diagnostic (on est en pleine épidémie de varicelle, et il est difficile de se tromper sur celle-là)... pour les autres, c'est bien souvent des hypothèses... allant de l'allergie quand il n'y a pas de fièvre jusqu'à la scarlatine (une véritable petite épidémie actuellement, avec l'angine blanche et le streptocoque au bout du test), en passant par la rubéole (je pense que ma propre fille de 3 ans l'a actuellement.. enfin.. mon épouse pense que... c'est bien rugueux au touché.. mais il n'y a pas de fièvre.. et pas d'autres signes.. elle pète la forme, et j'ai pas eu le temps de l'examiner).. le reste c'est du « JeSaisPas » .. qui convainc relativement peu les mamans... mais bon.. à vrai dire , si l'enfant va bien, mange bien, et n'est pas complètement assommé... et si la fièvre répond bien au doliprane.. ben si « tout ça »... on s'en fout un peu de l'éruption... on attend qu'elle passe, ou que quelque chose de plus « parlant » arrive...
Du surbookage (pour changer): ça surbooke dur dur en ce moment, pas de rendez-vous disponible avant 48h à 72h en moyenne, c'est très stressant pour tout le monde.. pour les patients flippés avant tout et pour moi ensuite... et la semaine a débuté très chaudement...
Une patiente qui tente de me joindre le lundi matin tôt... manque de bol … je n'ai pas eu l'appel (je dirais même LES appels).. et c'est en arrivant au cabinet dans la matinée que je constate la liste de « messages » de mes secrétaires téléphoniques... La patiente X fois, puis le samu, puis la voisine..
J'ai à peine le temps d'arriver que je me prends en pleine poire en répondant au tél:
« Et ben on peut mourir, tout le monde s'en fout ».
Mais oui bien sûr... tout le monde s'en tape madame..au revoir, madame. (non non .. je ne lui ai pas dit... j'avais juste envie de le faire en mimant son ton à elle .. pour la remercier de me faire démarrer cette semaine de 70 heures et plus si affinités, sur un si bon pied...)
Elle: « Je suis la voisine ! Ça fait une heure qu'on a appelé le samu , et l'ambulance ne vient pas ! »
Moi: « Heu.. la voisine de qui ? Et qu'est ce qui se passe ? »
Elle: « C'est Madame X, elle va pas bien du tout ! Elle est en train de mourir et tout le monde s'en fout »
Moi: « Hein ? Comment ça ? Qu'est ce qu'elle a ? »
Elle: « Ben tiens, je vous la passe... »
… mouhais... elle doit pas être vraiment vraiment mourante , si ca fait une heure qu'elle est en train de mourir , et qu'elle me la passe maintenant au téléphone.
La patiente: « Docteur ?? Je me sens pas bien, j'ai des vertiges depuis ce matin 8h ! »
Elle me donne quelques autres détails.. et heu.. il n'y a pas l'air d'avoir grand chose de plus.. j'ai ma petite idée ceci dit... je l'ai envoyé la semaine dernière faire de la kiné pour ses cervicales..
La patiente: « Oui , quand je tourne la tête à droite... ben je peux pas ! »
Et là … j'entends de suite le sketch de Coluche... ceux qui connaissent le reconnaitront.
Je lui explique ce que je pense, la rassure, j'entends encore la voisine derrière qui chante « il faut qu'il vienne maintenant ! » (C'est cela madame.. va dire ça à la salle d'attente pleine qui attend depuis 10 minutes que je raccroche, certains patients certainement avec des fièvres carabinées, ou des pathologies au moins aussi urgentes que celle là... « poireautant » eux aussi depuis plusieurs heures pour voir un toubib).
La patiente elle-même est rassurée, et se trouve mieux... elle me demande si elle doit se faire hospitaliser... je lui réponds que c'est impossible à dire par téléphone, mais que les ambulanciers allaient arriver, et qu'ils pourraient donner un peu plus de détails sur ses constantes (sa tension, son pouls, son aspect, sa fréquence respiratoire.. et même sa saturation en O²..) mais bon qu'a priori, vu ce qu'elle dit... je doute un peu que l'hospitalisation soit une nécessité absolue.
Le samu a un peu merdouillé sur le coup.. ils avaient prévu une ambulance, qui en fait n'était pas disponible, et ils s'en sont aperçus bien après... du coup .. comme il est d'usage dans de tel cas.. c'est les pompiers qui interviennent. (avec 1h15 de délai par rapport à l'appel initial... )
Les pompiers m'appellent.. et tout ce qu'ils me disent est rassurant... ça se finit par un « soin sur place » .. et je passerai dès que je peux... autant dire de suite... que ce sera pas avant demain... et encore.. en virant une visite qui était prévue depuis quelques temps.. si j'y arrive.
La visite du lendemain confirma le caractère bénin de la pathologie...
J'ai vu la voisine du coup... et « comme personne ne venait.. je lui ai donné du lexomil docteur, car j'en prends et ça me fait du bien ! »... mouhais.. c'est une raison comme une autre, on va dire. Si elle avait pris de l'augmentation ou de la digoxine, elle lui en aurait donné aussi « pour voir » ?
Explication de texte , sur ce qu'est la médecine en France, sur ce qu'elle devient, etc etc... « Oui oui, c'était peut être mieux il y a 20 ans... mais il n'y avait pas de téléphone portable, et on n'attendez pas que le docteur passe dans les 10 minutes non plus , hein... »
Elles comprennent toutes les deux (enfin.. pour ma patiente, je suis presque sûr qu'elle a compris, pour la voisine... je doute... ).
Je persiste à croire que ca ne peut plus marcher comme les patients le fantasment.. soit on me met d'urgence pour la journée, et là je réponds aux urgences... (mais il faut que quelqu'un se dévoue pour voir mes patients « non urgents »... ) , soit je suis à mon cabinet pour recevoir mes patients, et il ne faut pas s'attendre à ce que je laisse tout le monde en plan (souvent une salle d'attente pleine, avec des pathologies variées, bénignes ou graves) pour aller gérer quelque chose qui potentiellement va prendre des plombes...
Soit c'est urgentissime... et c'est via le samu qu'il faut gérer ça...
Soit ça n'est pas urgentissime... et il n'y a pas de raison que je laisse poireauter des enfants en bas âge, des personnes âgées, des gens qui attendent depuis des heures, parce que l'appel émane de quelqu'un de pressé.
C'est vrai que le samu est à une heure d'ici... mais la campagne, c'est la campagne... il y a des coqs, des bouses de vaches dans les champs, des insectes, des allergies dues aux floraisons du printemps.. mais non il n'y a pas de soins intensifs, ni de service de pointe en cardiologie ou en chirurgie... ni de samu à 10 minutes, il n'y a pas non plus de FNAC ou équivalent.. si c'est ça que vous voulez... faut rester en ville, et voire se louer un lit de camp à côté du CHU.
(S'il y a la ville, à la campagne, c'est plus la campagne.... et ce qui attire à la campagne... c'est que c'est pas la ville.... donc choisissez vos peines messieurs, dames)
Le reste de la journée fut aussi chaud que la matinée, plusieurs refus de consultations et de visites... tout simplement parce que toutes les 20 minutes jusqu'au soir 18h était déjà prévue une consultation sur rendez-vous.. donc certaines, « doublées » quasiment par force (et oui... 20 minutes divisées par 2, ça fait tomber la consultation à 10 minutes... mais si vous avez une autre solution, je suis preneur... ). Habituellement, les surplus de la journée sont vues en début de soirée, entre 18h et… 20h-21h-22h-23h (avec un record perso hors garde à 23h45 en début d'année). Mais, c'était pas possible ce lundi... réunion publique obligatoire à 18h.
Conséquences : le reste des rendez-vous de la semaine sont pris jusqu'au jeudi inclus... dès le lundi. Cool. Ça promet pour les appels de la semaine, et les soirées familiales.
Entre temps, quelques éléments encore plus chaud, dont une dame qui avait pris rendez-vous pour « renouvellement et papiers administratifs » (ça c'est de la médecine de pointe ça... c'est de la médecine moderne! La paperasserie! En médecine aujourd'hui, avant tout, il faut être secrétaire, puisque c'est la majorité de votre activité, la médecine devient presque secondaire). Je l'avais mise, vu la demande, sur un rendez-vous en 15 minutes... qui bien évidemment, par la prise d'urgences matinales, a été décalé de 30 minutes.
Et c'est presque le sourire aux lèvres qu'elle me dit venir aussi avec sa fille, car elle a besoin de me voir !
Mais bien sûr madame... c'est une très bonne idée que d'ajouter le temps d'une consultation supplémentaire de décalage, pour tous les patients de la journée qui eux , ont pris rendez-vous... Je le lui dis un peu plus diplomatiquement, mais le message passe.
Elle: « Pour moi ça sera rapide.. il me faut : ça, ça ça, ça et ça »
Pitin! Non sans blagues? Que « ça »?? Et 100 balles et un mars avec le tout? Je vous l'emballe?
Rien de médical dans tout « ça »... des certifs à la noix pour « couvrir » les associations sportives du 3ème âge.. des séances de kinés à renouveler... à la demande de la patiente (justification médicale douteuse...) , du doliprane, et quelques autres conneries... j'ai pas encore commencé à faire le premier papier qu'elle ajoute, alors que sa fille n'a encore rien dit, « et ma fille ne va pas bien du tout... elle veut se suicider »
Je lève la tête, regarde sa fille, effectivement sale tête, oulla.. mais qu'est-ce qu'elle a, à me demander des papiers alors que sa fille est « critique ».
Ça fait 15 bonnes minutes que j'ai repris le téléphone (il y a UNE heure où je prends les appels pour les « gens » qui ont besoin de parler « au docteur »... et durant cette heure là.. les consultations sont coupées environ toute les 3 minutes, ça donne un charme fou à la consultation, et permet des échanges fructueux, apaisés, compréhensifs, « empathiques » , comme on dit) et il n'arrête pas de sonner.
Pas pratique pour se concentrer. Et là, il va falloir... car j'ai une « gamine » d'à peine plus de 20 ans, que je connais fragile, et qui est déjà passé à l'acte (j'en ai déjà parlé sur un des posts précédents) qui est peut-être en décompensation « psy ».
Je décroche le téléphone, et le pose sur le côté, manière de pas être emmerdé au moins le temps que je me mette en « phase » avec la fille. J'essaye de faire taire la mère qui s'obstinent sur « ses » papiers. Le temps de la faire taire, et c'est le portable qui se met à sonner.. les patients n'ayant pas la patience devant une sonnerie « occupée » sur le fixe.. Pas de problème.. je raccroche aussitôt le portable, sans même regarder qui c'est. « Ils » n'ont qu'à chercher un autre pigeon ou changer de docteur.
Miracle, j'ai mis 20 minutes, mais la sauce a pris, et on a pu refaire tomber la pression, envisager des solutions de prises en charge (par son psy qui pourra la prendre... la semaine prochaine !! Merci le psy.. passez le bonjour à Michèle et aux bisounours quand vous les verrez... ).
De 30 minutes de retard, je passe à plus 1 heure, et on n'est qu'à la moitié de la journée.. et la mère qui me redemande « ses papiers » avant de partir, car « elle est venue pour ça ». Je les lui fait en râlant... elle me paie qu'une consultation, « car je ne l'ai pas examiner »... Ah bon ? Ok, Pas de problème... mais profitez-en pour changer de médecin aussi.. ils sont bien mieux ailleurs.. vous verrez. (A noter que je ne lui en avais pas demandé deux.. mais le simple fait qu'elle me l'argumente comme ça me fait tomber mon respect envers elle au niveau du caniveau, déjà qu'il n'était pas haut pour avoir pleurniché ses « papiers » avant de me demander de m'occuper de sa fille)
Oups.. ça y est je me suis fait reprendre par la longueur du message, et par le récit sous la forme « vécu, décousue »... Pour les râleurs habituels, vous n'avez qu'à vous dire que c'est un jeu, et le but est de découvrir le nombre de fautes d'orthographes, de grammaire afin de vous faire perdre du temps. Pour les autres, je m'en excuse par avance.
Je passe donc vite sur les autres non évènements: cette dame à qui je viens d'annoncer une récidive de son cancer du sein la semaine dernière, et chez qui le résultat du jour, c'est un autre cancer , de la lèvre celui-là. De cet opéré d'il y a 1 mois qui coule à flot de sa plaie non cicatrisée. De cette petite de 3 ans qui nous fait soit une rhino, soit une otite, soit une bronchite, et ça toute les semaines depuis début janvier... la mère est épuisée, oscillant entre crise de nerfs et dépression. De la sécurité sociale qui exige que je fasse un 100% pour un patient qui a été mis en arrêt par son psychiatre.. (et il faut que ce soit le médecin traitant qui fasse la paperasse, alors que je ne l'ai pas vu depuis 6 mois ! ). De cette patiente que j'avais adressé au rhumato en urgence et qui revient le jour meme en urgence « entre 2 » (et hop .. une consultation de 10 mins [déjà doublée] qui se voit écourter de 5 minutes de plus) , pour que je lui prescrive ce que le rhumato lui a dit !! (Il sait pas écrire le rhumato ? C'est pas un docteur ? C'est parce qu'il veut que je prenne la responsabilité de sa prescription ? C'est parce qu'il veut que je gagne des sous en me refaisant voir la patiente? Ou c'est juste pour emmerder tout le monde? ). De cette maison de retraite dont le médecin « coordinateur » veut que je passe en urgence pour faire hospitaliser ma patiente!! (Il est pas docteur lui non plus?? Il peut pas l'hospitaliser ?? 25 minutes de plus le temps de gérer le tout par téléphone, sans avoir vu la patiente, sans être payé, et en faisant poireauter les patients, tout en recevant des doubles appels sur le portable de gens qui essayent de passer outre les secrétaires).
« Viendez, Viendez » comme médecin de campagne, vous verrez du pays.. le pays des Nantis.
(Mes capacités à poster sur Le Post actuellement restent réduites tant que ce surbookage dure... c'est bien dommage, car j'ai plein de choses à partager, je reste cependant lecteur avisé, lors de mes nombreuses pauses clopes détentes de 3 minutes top chrono dans la journée)
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 14 mars à 15:59
malheureusement pas exagéré. C'est l'état dans lequel se trouve une bonne partie de la médecine générale. Nos syndicats devraient inciter à une bonne grosse grève de 15-20 jours. Le bordel inoui engendré réveillera les consciences au moins quelques mois et nous, ça nous fera chaud au coeur ... courage collègue !