La loi création et Internet, qui crée l'Hadopi, cet organisme chargé de surveiller les téléchargeurs potentiels, est une atteinte aux libertés. Elle s'inscrit dans une réglementation européenne, le paquet télécoms. Les détails de l'application de la riposte
graduée restent de compétence nationale, comme s'est empressé de le faire savoir Eolas, mais le paysage répressif est bien européen.
C'est d'ailleurs ce que rappelle le réseau des pirates, une initiative de quelques internautes qu'en d'autres temps on eût appelés influenceurs. Ils appellent à signer un pacte pour les libertés numériques. Etonnant, mais contrairement à Eolas, ils rappellent que c'est bien dans un
cadre européen que s'inscrivent nos libertés numériques.
Je devrais donc leur sauter au cou, virtuellement, et me réjouir de cette vigilance bienvenue.
Sauf que non, je ne suis en rien convaincu par leur démarche, qui frôle même la malhonnêteté à mon sens.
Certes, les libertés numériques sont bien menacées par l'Union européenne et les réglementations qu'elle prépare. C'est l'objet d'un consistant rapport de Statewatch, qui évoque les drones, les caméras de surveillance, les puces RFID etc...
Mais le réseau des pirates se limite à Hadopi. Dans le cadre européen évoqué par ces pirates, rien sur les scanners aux aéroports, sur Frontex etc... Juste le souci de défendre les droits de
l'amateur de MP3. Le marocain noyé au milieu de la Mediterranée sur une patera attendra.
Pire, le pacte des libertés numériques qu'ils invitent à signer est trompeur, et sent la récupération.
Ca commence par une déclaration directement liée à Hadopi :
je prends le parti des pirates.
Je déclare que je suis l’un d’entre-eux.
Je déclare avoir consommé, remixé ou diffusé des œuvres culturelles.
Alors, pour eux je suis un pirate.
On se dit voilà qui est intéressant, qui va être adressé à nos députés et les convaincre. Puis, on lit le Pacte.
Après un rappel des dangers de la loi Création et Internet, on lit ceci :
Nous appelons les parlementaires français à signer ce pacte et à défendre les libertés numériques à l'occasion du débat sur l'Hadopi.
RAS.
Suivi de cela :
Les élections au Parlement Européen se tiendront le 6 et 7 juin. C'est aussi au Parlement Européen que s'élabore le cadre de ces libertés numériques.
Nous voulons inscrire les enjeux du numérique dans la campagne des Européennes : le levier de progrès que représente Internet pour nos sociétés, les risques qui pèsent sur les libertés
numériques.
Nous demandons aux candidats, et en premier lieu, aux têtes de liste, de s'engager à défendre les libertés numériques en signant également le Pacte des Libertés numériques.
Quasiment une invitation à aller voter aux européennes ! Comme si le Parlement européen avait d'autres pouvoirs que d'émettre des voeux pieux ; en oubliant qu'un député de Malte y représentera
15 fois moins d'électeurs qu'un député allemand, à tel point qu'on peut douter de la constitutionnalité de ces élections ; en
oubliant que la plupart des décisions touchant aux libertés sont prises par des comités d'experts sélectionnés dans l'opacité par la Commission, comme le rappelait un député européen.
Signer le pacte,c'est ainsi réclamer de "Mettre en oeuvre le droit de pétition prévu par le Traité de Lisbonne." Ce droit de pétition est un droit d'envoyer une pétition à la Commission,
qui est libre d'en faire ce qu'elle veut. Autant dire rien du tout. Vous noterez au passage qu'en réclamant ainsi l'application de ce droit de pacotille, les signataires du pacte ont l'air de
plébisciter le Traité de Lisbonne, cette grande avancée démocratique.
En signant, vous appelez aussi à "Déployer une approche ambitieuse et exigeante du programme e-participation".
Ledit programme e-participation, au sujet duquel on lit - dans un appel d'offres de 2007 qui appelait à y participer - recherche à
développer "les instruments et les applications qui permettent une participation proactive des citoyens aux processus décisionnels concrets au niveau européen (Web 2.0 et autres types de
communication sociale à support technologique, par exemple)".
En gros, il s'agit de remplacer le bon vieux bulletin de vote par des parodies de débat à la web 2.0. Les européens sont ravis de
s'asseoir sur le résultat d'un ou de plusieurs référendums, mais en échange ils vous offriront gentiment un espace d'expression sur Facebook. Merci à eux...
Au chapitre démocratie, en signant le pacte, vous vous prononcez aussi sur le vote électronique. Non pas en rejetant radicalement cette menace véritable pour la démocratie, mais en renvoyant à des études supplémentaires :
"Suspendre le financement des programmes de vote électronique pour les élections politiques : les soumettre à une évaluation des avantages/risques du vote électronique pour la
démocratie."
Comme s'il y avait encore besoin d'évaluer quoi que ce soit sur le sujet.
Bref. Lisez bien le pacte avant de le signer, il est plus complexe que ce que vous croyez. Pour moi, il y a là de la récup pour les européennes au prétexte de la loi Création et Internet.
Je ne le signerai pas. Et vous ?