Issu de la même école que Nakata ou Tsukamoto (Super 8), Kiyoshi a eu plus de mal à percer dans le 7ème art que Akira du même nom (n’ont absolument aucun lien de parenté). Les producteurs des Pink Eiga pour lesquels KK en revendiquait la réalisation n’ont jamais été réellement convaincus par les romans pornos du jeune cinéaste. 4 ans plus tard, KK reviendra sur la scène avec Sweet Home, thriller fantastique. Il s’exercera alors dans un genre tout à lui (à travers Charisma, Cure, Kaïro) fantastico-réflexioniste assez intriguant et plutôt remarqué à de nombreux festivals de cinéma.
Si certains de ces films sont très connus (et plutôt les derniers), il y en a de nombreux qui n’ont malheureusement pas été édités/distribués dans nos contrées françaises. Le festival du DVD d’Avignon – bien réputé –m’a permis de me munir d’une édition Arte double dvd qui m’avait échappée (tiens donc).
Doppelgänger
Kôji Yakusho – acteur fétiche de KK - reste bien entendu le maître d’orchestre de ce long métrage. Doublement même puisqu’il s’agit d’une mise en scène faisant intervenir un doppelgänger (plusieurs films existent déjà sous ce nom) de Kôji.
Géni scientifique, Michio Hayasaki est sur le point de développer un fauteuil intelligent bio-intégré au système neurologique du patient. L’enjeu est tel que la pression exercée sur le surdoué Michio inhibe tout épanouissement d’un aboutissement. Il arrive dans une impasse nerveuse qui le propulse inévitablement à la crise de nerf. Vidé et hanté par son impuissance passagère, sa psychose incurable lui suggère une confrontation à son double (ou doppelgänger), de visite par chez lui. On croit d’abord à une apparition imagée de l’esprit mais ce second Hayasaki, plus trash, plus nature et un brin burlesque, va venir brusquer les habitudes de vieux garçon du bon citoyen Hayasaki. KK nous réalise ici un ovni d’un genre nouveau plutôt déroutant puisque ne ressemblant en rien à ses autres long-métrages très connus… L’acteur nous met en scène un jeu de théâtre du je-te-vois / je-te-vois-pas convaincant avec une pincée de dérision bienvenue qui fait sourire.
On devine le fantasme de se concevoir et d’incarner son modèle révisé et corrigé. En rejetant mécaniquement (voire scientifiquement) toutes les inhibitions et défauts de personnalité qui nous ont sans cesse cantonné à un conformisme stupide, on s’isole et milite pour une différence revendiquée au sein d’une société formatée selon des codes de bienséance infondés et parfois ridicules. Qui ne s’est jamais interrogé sur sa vie, ses réactions, ses non-pulsions, son comportement sans se dire : on arrête tout, on la refait – là je suis prêt. On se connaît suffisamment pour ne pas aimer certains aspects de notre personnalité, pourtant indissociables et difficilement évitables (chassez le naturel, il revient au galop). KK arrive à soulever cette problématique avec intelligence à travers ses 2 personnages similaires et opposés à la fois.
En revanche, la rédemption du final nous laisse un peu dubitatif. L’intrigue s’enlise dans un road-moovie plutôt lourdingue et on n’en voit pas le bout et surtout l’intérêt (même s’il se veut philosophique).
Un film plutôt convaincant au concept original qui malheureusement fermente dans une macération de genres en surdose.
License to Live
Encore une œuvre mal connue de KK qui s’exprime ici une nouvelle fois dans un autre registre. Le jeune Yutaka tente de retrouver de maigres repères après 10 ans d’absence et de perte de mémoire. Beaucoup de choses ont changé, son pays le Japon, sa famille - éclatée (ses parents ont divorcé, sa sœur est partie aux US), sa maison, réhabilitée en pisciculture. Changements radicaux sous fond de mentalité égocentrique, solitaire et douloureuse.
Mutisme, silence, opacité à travers une réalisation mystérieuse, sans logique et sans code. Comment dépeindre le mal-être, l’incompréhension et la douleur sans les mots ? C’est lent, intéressant, réfléchi mais sans doute trop ésotérique… Les plans s’enchainent, les sentiments transparaissent dans un espace présent quasi vivant tant le film est muet. Océan de vide et de néant auquel le spectateur est confronté – pas forcément à l’aise. On a beaucoup de mal à cerner le but de KK qu’on aurait pu penser plus ambitieux avec un final qui nous aurait peut être raccroché au reste décousu de sa réalisation ? Ce n’est qu’un chute vertigineuse sans fin et sans point d’impact, malheureusement.
Le film aura tout de même eu le mérite de soulever la même thématique que Good Bye, Lenin ! à savoir que le monde change affreusement dans une mutation ultra rapide au flow continu invisible et aussi impénétrable que l’esprit torturé de Yutaka. KK aborde, par ailleurs, de façon détournée la nouvelle définition de la famille moderne – éclatée, individualiste et meurtrie.
Une réalisation ambitieuse, mûre et ésotérique dans un vide trop prononcé au dessein malheureusement non palpable.
C.