Lettre au Garde des Sceaux au sujet de l’affaire de Nancy
Madame la Ministre,
Nous tenions à vous faire part de notre vive indignation après la
convocation de notre collègue, Philippe Nativel, Vice-Procureur à Nancy
par le directeur des services judiciaires.
Cette convocation qui fait suite à un article publié dans l’Est
Républicain lui prêtant des propos tenus lors d’une audience de
comparution immédiate jugeant un délinquant récidiviste. Il est
reproché à notre collègue d’avoir déclaré : « Les
magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir, ce n’est pas parce
qu’un texte sort qu’il doit être appliqué sans discernement ». Il semble que c’est à la suite de l’émoi d’une député UMP de Nancy que la décision de convoquer M. Nativel a été prise.
Cette convocation qui s’effectue en dehors de tout cadre procédural
précis constitue une atteinte inacceptable au principe de la liberté de
parole à l’audience du ministère public consacré par l’article 33 du
Code de procédure pénale. Elle marque une volonté de soumettre les
magistrats à une pression hiérarchique incompatible avec leur mission
constitutionnelle de gardien des libertés individuelles qui suppose
justement d’appliquer la loi avec discernement. Depuis quelques années,
les tentatives de pression sur les magistrats se multiplient. Déjà,
votre prédécesseur, Pascal Clément avait ordonné la convocation d’une
magistrate de la Cour d’Appel de Colmar, Josiane Bigot, lui reprochant
des prises de position dans le cadre de sa vie privée.
Nous ne pouvons tolérer de telles atteintes au statut de la
magistrature. Les magistrats du parquet sont certes soumis au principe
hiérarchique, mais ils doivent pouvoir exercer leur mission
constitutionnelle dans la sérénité. Leur fragilisation renforcée sans
cesse par la pratique du passer-outre des avis négatifs du Conseil
supérieur de la magistrature, devenue systématique, illustre la
dépendance de la magistrature vis-à-vis du pouvoir politique en terme
de carrière.
C’est pourquoi, Madame le Garde des Sceaux, nous sollicitons un
entretien rapide pour évoquer cette affaire. Nous transmettons copie du
présent courrier au Conseil supérieur de la magistrature compte tenu
des questions de principe posées par la convocation à la chancellerie
de notre collègue.
Nous vous prions, Madame la Ministre, de bien vouloir recevoir, l’expression de notre haute considération.
Pour le Syndicat de la magistrature
Emmanuelle Perreux
Présidente
Repris de ma vie en narcisse