HOULE VERTE ET CARCASSES VAGABONDES
Rumeur intense de la mer houle verte déroule ses masses lourdes vient battre la terre mordre les rochers ça houle et ça tangue étendue mouvante bleu pétrole aujourd’hui le vent balaie les vagues aspire soulève hérisse crêtes blanches une mouette tourne mêmes cercles muets cent fois répétés au-dessus du puits vert.
— Une vache abattue au fusil. Il faut les descendre toutes ! C’est ce qui se dit aussi. D’autres disent Non ! Se refusent au carnage.
Vagabondage de vaches.
Les vaches vagabondent
sautent
par-dessus les grillages
emportent les balustrades dé
foncent les murs sac
cagent les jardins
friandes de géraniums de clématites mauves de barbelés d’hiver.
Le même jour un taureau noir planté là sur
la nationale lancée à
pleine vitesse
circulation aléatoire
une femme en
travers de la route
gesticule pour
déloger l’animal figé dans
son immobilité séculaire
Quelles prières faire monter
vers cette masse obtuse ?
De quels mots la toucher pour
qu’elle daigne entendre
la demande des hommes ?
Son regard fixe pèse
sur les automobilistes
pressés d’entrer
dans la citadelle et
pressés d’en sortir.
La carcasse lourde sombre du cadavre gît au milieu d’un jardin puanteur irrespirable se répand sur les piani étreint l’atmosphère de ses miasmes infection qui prend à la gorge étroite que faire de la vache morte qui infeste le hameau colonnes serrées des plaintes qui montent dans l’air du soir comment faire taire dépecer la bête qui gît tête raide dans les cistes couler de la chaux vive tonnes de chaux de sacs de chaux pour dissoudre viscères et boyaux muscles et organes peau arrachée aux os fondue dans la terre détrempée de pluie sang et eaux et cette puanteur qui rôde et se refuse à se dissoudre et lui gâchette sensible tourne et retourne sa grogne que faire sinon ruminer sa hargne dans sa tête penaude la vache qu’il s’en débrouille les vaches vagabondes et les chèvres et les cochons et les sangliers les exterminer tous qui n’appartiennent à personne les carcasses ici ce n’est pas ce qui manque.
Il y a aussi
les carcasses de bagnoles vieilles rouilles abandonnées ça et là dans le maquis sur les terrains en friche comment s’en débarrasser comment s’en débarrasser lettres recommandées qui restent sans réponses intimidations diverses de faible efficacité refus des gendarmes de relever les numéros d’immatriculation demander la carte grise les propriétaires n’en ont pas n’en ont plus n’en ont jamais eue et la loi… opération inutile on attend que les habitacles moisissent noient l’espace vital envahissent le paysage tous arguments de peu de poids qui laissent insensibles l’autochtone entêté à ne rien voir rien vouloir rien savoir faire venir la benne oui peut-être embarquer les véhicules jusqu’à la casse oui sans doute mais sans papier pas de casse casse-tête corse et la benne du reste ne prend que la ferraille pas le verre pas la moleskine pas les pneus faut-il envisager plusieurs bennes plusieurs voyages plusieurs forfaits plusieurs tarifs les propriétaires n’en ont pas n’en ont plus n’en ont jamais eue et la loi…
une voix
traverse le maquis voix venue de la route voix de femme qui descend vers moi quel visage associer à cette voix rien dans ses modulations qui me permette d’identifier la voix la mer gronde houle de vert foncé et de noir bandes de couleur hérissées de blanc hallebardes non tourbillons mouvements circulaires qui se creusent se gonflent selon les règles d’un rythme dont je ne connais pas les lois la voix se rapproche conversation hachurée par les rafales les branches des buissons cistes et myrtes enlacés tremblent sous les coups de butoir du vent il fait froid.
Une chaussure moussue gît à mes pieds. Des fleurs minuscules y ont élu domicile. Vie menue qui s’obstine à pousser son tremblé dans l’abandon.
Ce soir peut-être chantera la hulotte dorée.
Dans la nuit pleine de la lune.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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