J'ai passé toute mon enfance avec lui. Je ne m'en portais pas plus mal. Je n'y faisais pas plus attention que ça, il était avec moi depuis ma naissance, son absence m'aurait sans doute fait
tiquer.
On a passé de belles années ensemble.
Puis, quand je suis allé faire mes études à Rennes, je me suis fait des nouveaux amis, et je l'ai peu à peu perdu de vue. De temps en temps, je le revoyais, mais ce n'était jamais très long.
Puis là, d'un coup, sans prévenir, je me re-retrouve avec lui. Après pas loin de trois ans, je pense.
Qu'il est laid.
Ca ne m'était pas apparu à l'époque, mais maintenant, je me dis putain de merde, qu'il est laid.
Je veux plus le revoir.
Il n'y a décidément rien de plus affreux que le menton d'un ex-barbu.
Tout ça parce qu'on s'est mal compris avec la coiffeuse.
Je voulais bien qu'elle taille (la barbe, hein, la barbe), mais pas qu'elle tonde, bordel à cul !
Du coup, mon menton me saute aux yeux dès que je croise un miroir.
Et croyez-moi, un menton qui saute aux yeux, ça fait mal au coeur.
Putaing.
Vivement que ça repousse, quoi.
Et dire que tout ça c'est la faute à la grève des universitaires, là, cette sale engeance qui me laisse du temps libre pour aller au coiffeur. Que sinon j'aurais laissé faire ma mère, qui est pas
super douée, mais qui n'aurait pas touché à ma barbe.
Du coup, j'ai boycotté la manif d'aujourd'hui.
Je n'ose plus sortir, maintenant, de toute façon. Je ne peux pas exposer mon menton à la face du monde comme ça, je ferai chialer les gosses et fuir les femmes.
Le menton, décidément.
Je veux dire, quoi.
Quelle horreur.
Mais bon, ça va repousser. Seigneur, faites que ça aille vite.