Wolfgang Mayrhuber, président de Lufthansa, est tout simplement atypique et inclassable. Au moment oů la quasi totalité de ses pairs se lamentent, alors que le directeur général de l’IATA est au bord de la dépression nerveuse, que la récession s’incruste et frappe sans merci, le voici qui présente un bilan 2008 pour le moins enviable, voire unique en son genre. Et il précise d’entrée, sans la moindre perfidie, que, cette année, la capacité offerte sera tout au plus diminuée de 0,5%.
Le hasard faisant curieusement les choses, au męme moment, Air France-KLM annonçait une contraction de son offre de 3,4% pour la saison d’été qui s’ouvre dans quelques jours. Pire, sur le réseau intérieur, Air France va réduire son offre de 6,4%.
Deux poids, deux mesures ? On risquerait d’y perdre son latin, sauf ŕ rappeler que l’Allemagne, ŕ ce jour, est moins durement frappée que d’autres par la crise économique et financičre. Mais, s’il fallait s’en tenir lŕ, l’explication serait un peu courte et, de ce fait, insatisfaisante.
Les chiffres, tout d’abord. En 2008, Lufthansa a réalisé un chiffre d’affaires de 24,8 milliards d’euros, en progression de 10,9%. Oui, 10,9%. Son bénéfice brut d’exploitation a néanmoins reculé de 12,8% (on en est presque rassuré) tandis que le bénéfice net s’est effondré ŕ 599 millions, 63,8% en-dessous du niveau de 2007. Encore convient-il de préciser que des recettes exceptionnelles de plus d’un demi-milliard d’euros avait gonflé les chiffres de cette année lŕ, de ce fait non représentatifs.
Peu importe les commentaires ŕ venir, Wolfgang Mayrhuber, flanqué de son directeur financier, Stephan Gemkow, peut se permettre de prononcer les mots dont ręve chacun des PDG des 200 et quelques membres de l’IATA : Ťnous sommes la compagnie aérienne la plus profitable au mondeť. Il ajoute qu’il n’est pas disposé ŕ céder cette place de numéro 1 et sans doute se retient-il de dire que Lufthansa entend bien continuer de tracer sa route ŕ fond la caisse. On s’habitue vite ŕ occuper la pole position.
Une fuite en avant ? Dans la coulisse, des voix s’élčvent de temps ŕ autre pour reprocher ŕ Lufthansa de racheter aveuglément tout ce qui est mis en vente, faisant de la croissance externe ŕ tout prix son véritable credo. La réponse est cinglante : c’est faux, la rentabilité passe avant l’accroissement des dimensions de l’entreprise.
Il est vrai que, récession mise ŕ part, le moment est visiblement venu de marquer une pause pour mieux façonner le groupe nouvelle maničre. Aprčs le rachat de Swiss, voici que se met en place en plusieurs étapes la prise de contrôle de Brussels Airlines, British Midland et Austrian Airlines. Tandis que déboule ŕ Milan Lufthansa Italia, énorme pied de nez allemand ŕ Alitalia nouvelle maničre et ŕ ses amis berlusconiens. Mais aucune autre opération n’est actuellement prévue, précise Wolfgang Mayrhuber, comme s’il s’agissait de rassurer analystes financiers perplexes et, accessoirement, concurrents inquiets.
De toute maničre, ŕ Francfort, on préfčre élever le débat. Les beaux jours reviendront, autant d’ores et déjŕ évoquer l’avenir. Le moment n’est donc pas mal choisi pour répéter que l’Europe des transports aériens reste trop fragmentée, qu’il faut regrouper, réunir, intégrer, la crise actuelle contribuant ŕ mettre en évidence la dangereuse faiblesse structurelle que constitue ce morcellement. Il faut, dit-on outre-Rhin, éliminer ce problčme pour assurer la survie de l’Europe en tant de grande plaque tournante des transports aériens mondiaux. En d’autres termes, la croissance et satisfaction des actionnaires de Lufthansa relčvent aussi de l’intéręt général.
Pierre Sparaco-AeroMorning