« Les victimes cachées de la crise – elles sont nombreuses. »

Publié le 11 mars 2009 par Letombe
Alors que tous les gouvernements tentent d’éviter le pire et se concentrent sur des plans de relance avec plus ou moins de succès, les victimes de la crise, elles, se multiplient. La crise financière s’est aujourd’hui transformée en crise sociale et économique majeure touchant toujours plus de secteurs et d’entreprises. La droite, majoritaire en France comme en Europe, n’a pas tenu compte de nos avertissements ; elle maintient son cap libéral et la récession que nous connaissons remet en cause l’ensemble des progrès qui avaient pu être obtenus en matière d’emploi, d’avancées sociales, d’égalité, de lutte contre la pauvreté. En un mot, c’est l’Europe sociale que nous appelons de nos vœux qui est remise en cause.

Dans ce contexte, et au moment où nous célébrons la journée internationale des femmes, nous nous interrogeons sur la situation particulière des femmes dans cette crise. Il nous semble essentiel de prendre conscience de ses effets multiples et dévastateurs pour les femmes. Et de réfléchir à la place qu’elles occupent dans la gestion de notre système économique et financier.

Les chiffres actuels du chômage sont en trompe-l’œil : la première étape de la crise semblait toucher uniquement la banque et la finance, des secteurs principalement masculins. Rapidement l’effet domino a joué et c’est l’industrie automobile qui s’est trouvée en première ligne, industrie qui, elle aussi, emploie principalement des hommes. A première vue, les statistiques montrent donc que les hommes sont plus touchés par la crise que les femmes (80% des nouveaux chômeurs sont des hommes)

Or, la crise touche aussi les femmes, mais d’une façon plus insidieuse et que l’on ne relève malheureusement jamais. A moyen terme, ce sont les postes précaires et les contrats à durée déterminée des sous-traitants qui seront touchés suite aux annulations de contrats des grandes entreprises ; ils concernent les femmes pour 83%. Ce sont elles qui glisseront les premières dans la pauvreté ou dans des situations de dépendance. Et c’est un grand pas en arrière dans l’histoire de l’émancipation des femmes.

Autre conséquence négative que la crise engendrera si nous n’y prenons garde : comme il existe toujours un écart salarial entre femmes et hommes (moyenne européenne 17%, moyenne française 19%), les femmes se retrouvent facilement dans la posture de « l’employée moins chère », et donc plus « intéressante » pour les entreprises. Si l’on peut de prime abord y voir une conséquence positive, (elles seront plus recherchées), on sait pourtant que cela les obligera à gérer une situation économique et financière plus précaire, avec des difficultés supplémentaires à concilier vie privée et vie professionnelle (horaires décalés, temps partiels, conditions de travail dégradées…)

Quant à la protection sociale, elle est subtilement remise en question. Nous ne citerons ici que deux exemples, mais qui sont représentatifs. D’abord, le désengagement de l’Etat, s’il devait être confirmé, de ses missions d’information et de prévention en matière d’éducation sexuelle serait un recul brutal et dramatique. C’est le parfait exemple d’une action gouvernementale visant à saper les fondations des organisations soutenant les femmes. Les Français s’en inquiètent, et ils sont plus de 125 000 à avoir signé la pétition du Planning Familial. Ensuite, il faut savoir que des femmes, craignant de perdre leur emploi, raccourcissent aujourd’hui leur congé maternité. L’exemple récent de la ministre de la Justice ne manquera pas, malheureusement, d’être à l’esprit d’employeurs peu scrupuleux.


En aucun cas, les droits sociaux et économiques des individus, femmes ou hommes, ne peuvent être sacrifiés à l’autel de la gestion de la crise !

Parallèlement à cela, il faut analyser les chiffres et questionner la gestion économique et financière de nos pays. En France, selon l’Insee, les femmes représentent 47 % de la population active mais seulement 37 % des cadres et professions intellectuelles supérieures, 17 % des chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus et 10 % des membres des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Les hommes, on le sait, sont plus nombreux à occuper des postes de dirigeants au sein des entreprises, notamment lorsqu’il s’agit de grandes et très grandes entreprises. S’il l’on ajoute à cela que les gouvernements sont en majorité constitués d’hommes et que le milieu financier est lui aussi à dominante masculine, on peut donc se demander dans quelle mesure l’absence de femmes aux postes à responsabilité a pu influencer le cours qu’a pris la crise…

Où étaient donc les femmes dans la première phase de la crise ? Comment sont-elles écoutées lorsqu’elles travaillent dans le milieu financier et économique ? Une étude française du professeur Michel Ferrary (CAC 40 : Les entreprises féminisées résistent-elles mieux à la crise boursière ?) montre que lorsque les banques sont dirigées par des femmes, elles réagissent mieux à la crise, parce qu’elles sont gérées dans des perspectives à plus long terme, sans prise de risque inutile ou inconséquente. En 2005, la Norvège a mis en place une loi qui impose 40% de femmes dans les conseils d’administration des entreprises. Des études montrent clairement que les entreprises ayant des comités d’administration paritaires sont mieux gérées et donc plus rentables que celles qui n’appliquent pas la parité. Si, dans les entreprises, on avait donné aux femmes autant qu’aux hommes l’accès à des postes à responsabilité, cette crise n’aurait pas eu la même physionomie, elle n’aurait pas pris cette ampleur. C’est une hypothèse que le gouvernement français se refuse cependant à considérer. A la demande, mercredi dernier, des trois présidentes des délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances (Sénat, Assemblée Nationale et Conseil Economique et Social) d’instaurer une loi française semblable à la loi norvégienne, Brice Hortefeux a cru bon de répondre que la proposition était trop en avance sur son temps…

Et ce « plafond de verre » ne s’applique pas qu’au monde de l’entreprise. Malgré la loi sur la parité, on est loin d’avoir une réelle représentation égalitaire au sein des institutions politiques en France : les femmes ne représentent que 18% des députés, 27% des sénateurs, et moins de 7% des maires des communes de plus de 3500 habitants

Face à cette situation, les femmes ne peuvent pas rester passives. Elles doivent se mobiliser, se faire entendre et participer aux prises de décision, aux négociations dans le monde du travail et aux formulations de nouvelles régulations financières. Les hommes ne savent faire appel aux femmes qu’après les grands désastres, alors que celles-ci ont démontré depuis longtemps qu’elles sont un atout de taille pour le fonctionnement des entreprises et de la société en général.

De plus, les femmes, et parmi elles les nombreuses mères célibataires, s’inquiètent à raison de l’instabilité socio-économique. Elles ont besoin de solutions leur permettant de continuer à travailler et de combiner vie familiale et vie professionnelle. Investir dans les services publics comme les services de la petite enfance, l’éducation et la santé, est, en période de crise, d’autant plus important qu’il faut donner aux femmes la possibilité de rester actives et indépendantes. Ce type d’investissement par les gouvernements serait non seulement positif pour les familles, mais favoriserait aussi la création d’emploi.


Si les hommes semblent être les principales victimes aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont dans les situations les plus visibles et dans les domaines qui souffrent de plein fouet de la crise. Mais nous devons en anticiper les effets à long terme, et comprendre que les femmes seront encore plus touchées, plus lourdement et sur tous les plans. Réagir à court terme est insuffisant. C’est pourquoi aujourd’hui, pour la journée internationale des femmes, nous faisons appel aux gouvernements et aux préparations du G20 et leur demandons de prendre en considération la position des femmes dans la crise économique. Nous ne pouvons pas laisser cette crise détériorer les droits des femmes au prix du seul gain financier des entreprises et des marchés. Non seulement nous devons écouter les femmes, mais nous devons aussi travailler ensemble, femmes et hommes, à égalité, pour surmonter cette crise.

Nous sommes à trois mois des élections européennes.

Faisons le pari de croire en une Europe juste et égalitaire ! Le Parti Socialiste se mobilise aux côtés du Parti Socialiste Européen pour donner un nouveau sens à l’Europe. Une Europe qui donne la première place aux citoyens. Une Europe dans laquelle les femmes auront toute leur place et seront actrices des décisions autant que les hommes.

Zita GURMAI
Secrétaire Nationale chargée des droits des Femmes