Les Français et le téléchargement sur Internet

Publié le 11 mars 2009 par Delits

À peine le dossier de l’hôpital est-il, douloureusement, refermé, que l’Assemblée Nationale s’apprête à engloutir un nouveau « pavé ». En effet, le projet de loi « Création et Internet » est au menu de nos élus en ce début du mois de mars. Une nouvelle fois, le projet de loi est réclamé par la majorité des députés mais la direction à suivre demeure incertaine, ce qui explique une certaine confusion au sein même des groupes politiques.

Réformer la toile ?

Le débat portant sur le téléchargement illégal est une question que l’on évoque depuis l’éruption de l’Internet haut débit en France. Aujourd’hui, 17,8 millions de Français en bénéficient et les projets voulus par le Secrétariat d’Etat à l’Économie Numérique promettent un destin ascendant à ces technologies. Ce dossier est devenu une nécessité pour les pouvoirs publics sous peine de voir la création s’essouffler et peu à peu disparaître de nos écrans et de nos vies.
Les députés et les sénateurs ont conscience du besoin d’encadrer et de structurer l’offre sur la toile. Trois ans après la loi DADVSI, la loi « Création et Internet » souhaite lutter contre ce fléau ; pourtant il semble exister un décalage entre leur vision de l’outil Internet et celle que possède l’opinion publique.

Télécharger n’est pas jouer

Selon l’enquête publiée par le quotidien Métro et réalisée par l’institut TNS Sofres pour Logica, 20% des Français avouent télécharger des contenus musicaux, des films ou des logiciels sur des sites « peer to peer », c’est-à-dire illégalement. Le taux de réponse est de 29% pour les internautes et il atteint même 36% pour les « internautes quotidiens ». La première remarque que l’on peut faire concerne la corrélation qui existe entre le téléchargement et la « pratique » de l’outil Internet. Les récents progrès au niveau du haut débit, de la téléphonie et des capacités de téléchargements de nos équipements prédisent donc une explosion du téléchargement à moyen terme. On notera également que la proportion atteint 57% chez les 18-24 ans et on imagine qu’elle pourrait être encore plus importante chez ceux qui ont encore l’âge de se déguiser en pirate des mers.

L’élément important de cette enquête, la première réalisée sur le thème du téléchargement à proprement parler, concerne la méthodologie utilisée. En effet, si les enquêtes « online » semblent reproduire les résultats observés lors des enquêtes traditionnelles (téléphone), le choix du « face à face » est ici pertinent. En effet, un sondage qui traite des questions Internet et surtout de nos comportements à l’égard du téléchargement est par nature très difficile à analyser. Ainsi, tout comme la question posée, la question de la méthodologie est cruciale pour ne pas « construire une réalité ».

Toutefois, le chiffre indiquant les pratiques de téléchargement des internautes « modèles », ceux qui ne téléchargent pas et qui n’utilisent aucun programme illégalement, est sans doute moins représentatif de la réalité si l’on considère qu’il se télécharge chaque année 700 millions de titres musicaux et 164 millions de films… en langue française !

Un projet qui ne répond pas aux attentes de l’opinion

Le premier élément sur lequel l’ensemble de la classe politique s’accorde c’est le système de prévention global (mails puis courrier recommandé avant une pénalité) plutôt que la suspension de la ligne de télécommunications. Un sondage Ipsos paru en mai 2008 indique que 90% des personnes sont prêtes à arrêter le téléchargement s’ils recevaient deux alertes. Ce chiffre démontre que la décision des pouvoirs publics de se saisir de cette question fait véritablement réagir l’opinion. Cependant, on peut ici souligner les problèmes techniques qui se poseraient dans le cas d’une suspension totale d’une ligne de télécommunications « triple-play » (TV, Téléphone, Internet).

La création de l’Hadopi (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la protection des droits sur Internet) semble aller à l’encontre de ce que souhaitent les Français qui dénoncent à 71 % que la protection de la vie privée sur Internet est insuffisante selon l’enquête Ipsos réalisée pour la CNIL en 2008. Le grand public semble, pour le moment se complaire dans un Internet du « tout gratuit » où l’universalisme et le droit à la connaissance doivent régner en maître. Cette vision presque infantile explique sans doute une partie du décalage qui existe entre les différentes parties prenantes sur ce sujet.

L’opinion ne fait pas toujours la loi

En 2005 l’institut Ipsos a réalisé une étude pour l’ADAMI (Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes) qui indiquait que 17% des Français étaient en faveur des poursuites judiciaires alors que 83% se déclaraient prêts à s‘abonner afin de légaliser le téléchargement. Mais sur ce sujet, plutôt qu’une opinion assez consensuelle, c’est le poids économique des grandes “majors” qui semble avoir dicté la législation et donc une certaine fermeté à l’égard des habitués du téléchargement illégal.

Dans cette enquête, un internaute sur deux (45%) affirmait avoir déjà visité les sites de téléchargement illégal mais seuls 50% de ces « visiteurs » disaient  avoir trouvé ce qu’ils y recherchaient. Toutes proportions gardées en raison de la différence de méthodologie, le décalage entre le résultat de cette enquête et les chiffres enregistrés par TNS Sofres met en évidence la prise de conscience qu’a permis l’émergence du débat ces dernières années. Pourtant, avec la pénétration toujours plus forte d’Internet dans nos vies la part de personnes ayant déjà téléchargé illégalement  demeure bien trop élevé pour qu’un simple outil législatif ne permette de la réduire.

Une enquête de l’institut Ipsos datant de mai 2008 résume bien la vision que l’opinion publique a du téléchargement. Seulement 36% des Français pensent que le téléchargement est la raison principale  de la baisse des recettes des auteurs et compositeurs.  Impunité, irresponsabilité ou inconscience de l’opinion publique, difficile de savoir ce qu’il faut lire derrière ce chiffre.

Ainsi, si le principe de réglementation d’un univers aussi immatériel que les contenus circulant sur Internet est aujourd’hui une nécessité pour le législateur et relativement admise par l’opinion, les réponses apportées actuellement soulignent la difficulté à prendre en considération la protection de la création artistique, le respect des libertés individuelles et surtout les habitudes comportementales liées à l’émergence de  l’Internet haut-débit.