De nos jours, on ne se promène dans les rues de Pompéi que dans la journée. Et parfois, on a envie de commander quelques olives et un petit pain à l’huile au comptoir d’un thermopolium, ou de se reposer à l’abri du soleil dans un jardin somptueusement décoré… il semble que le cours du temps s’inverse, et que des voix sans visage chuchotent en latin derrière les colonnes.
Alors imaginez ce que ce doit être de nuit…
Car au XIXe siècle, les jeunes romantiques qui faisaient le voyage d’Italie rejoignaient Pompéi en train puis se logeaient dans une osteria à proximité des vestiges, où ils étaient harponnés par un « cicerone », qui ne les lâchait plus d’une semelle et leur récitait d’une voix morne tout ce qu’il savait sur la ville ensevelie. Le soir, les plus rêveurs pouvaient entrouvrir la porte de bois qui fermait le site et s’aventurer dans les décombres.
C’est ce qu’entreprend Octavien, le héros d’Arria Marcella de Théophile Gautier. Il a de bonnes raisons ; il est complètement obsédé par l’empreinte d’un sein vu au Musée de Naples ; il est tombé amoureux de cette forme idéale, ce moule de cendre qui a gardé le souvenir d’une jeune poitrine dissoute par les siècles. La jeune femme s’était réfugiée dans la cave de la villa de Diomède, sur la Voie des Sépulchres.
Par la force de son désir, cette nuit-là, Pompéi semble renaître… de ses cendres, et les pas du jeune homme le mènent au théâtre, où il assiste à une représentation de Plaute, observé par une jeune femme brune au regard troublant…
Arria Marcella est le parfait exemple de nouvelle fantastique d’époque romantique : un héros aux passions impossibles, plus attiré par les fantômes que par la vie réelle, condamné à la frustration ; une expérience étrange, dont on ne sait si c’est un rêve du héros, un fantasme, ou la résurgence d’un monde enfoui qui ne demande qu’à revoir la lumière…
Outre que cette nouvelle est très courte, elle se lit fort agréablement : en effet, les héros sont des jeunes gens tapageurs qui poussent des cris de joie quand ils font des trouvailles intéressantes au Musée, histoire de déranger les « Anglais taciturnes » et les « bourgeois » abîmés dans la lecture de leurs guides. Une fois à Pompéi, ils plaisantent (à la descente du train, « station de Pompéi » les fait déjà rire, tant les deux termes accolés leur paraissent incongrus), déclament tous leurs souvenirs de latin au théâtre pour en vérifier l’acoustique, et arrivés à la villa de Diomède rappellent Octavien à des réalités fort prosaïques : ils ont faim ! et si agréable que soit la villa, ils veulent s’éloigner de cette cité où l’on ne trouve que des pains carbonisés par l’éruption. Bref, même s’ils fustigent les touristes scolaires, on se sent avec eux comme avec des voyageurs un peu balourds, plus rigolards que sensibles à l’aura des vestiges. (Evidemment, Octavien n’est pas comme eux ; c’est un romantique, lui, un vrai.)
On y explore aussi un Pompéi qui n’a été que partiellement fouillé, et il est significatif que la fascination de l’écrivain se manifeste pour une villa que l’on ne visite plus prioritairement aujourd’hui (il semble que justement elle ait été admirée et pillée au XIXe…). On dit aussi que l’empreinte de ce sein, célèbre en son temps, est tombée en poussière…
Voici ce que raconte Ernest Breton du drame qui se déroula dans la villa (source) :
Au moment de l'éruption, dix-huit personnes adultes avec un jeune garçon et un enfant en bas âge avaient cru trouver un refuge assuré sous ces voûtes impénétrables ; des provisions qu'ils y avaient portées leurs assuraient l'existence pour quelques jours ; mais bientôt les cendres fines et brûlantes y pénétrèrent par les soupiraux, une vapeur ardente remplit la galerie ; les malheureux se précipitèrent vers la porte... il était trop tard !
Tous périrent étouffés et à moitié ensevelis. C'est là qu'on les a retrouvés au bout de dix-sept siècles le 11 décembre 1772, la tête encore enveloppée des vêtements dont ils s'étaient voilé le visage, soit pour se préserver des cendres ardentes, soit par un acte suprême de décence et de résignation. On recueillit près d'eux divers bijoux, des monnaies, un superbe candélabre, des clefs, les restes d'une cassette, un peigne double en bois, etc. Les murs présentaient encore la silhouette des cadavres, et la cendre durcie avait gardé les empreintes des seins, des bras et des épaules d'une jeune fille d'une admirable beauté. Cette intéressante victime dut être la fille du propriétaire de l'habitation, à en juger par les vêtements précieux qui la couvraient, et on voit encore sur la cendre quelques traces d'une de ces étoffes légères que Pétrone appelait du vent tissé, ventus textilis. Elle portait un superbe collier composé d'une chaîne d'or en filigrane décorée au milieu d'une petite plaque à laquelle sont attachées deux chaînettes terminées par des feuilles de pampre, un joli bracelet formé de deux cornes d'abondance réunies par une tête de lion, enfin deux pendants d'oreilles.
Il raconte aussi que le chef de famille avait cherché à s’enfuir avec les clefs de la maison et une somme rondelette (portée par un esclave) mais qu’il avait été surpris par la mort non loin de la demeure. Gautier, lui, en fait un sectateur du Christ, un homme sévère qui vient briser les rêves d’amour du jeune Octavien et d’Arria Marcella. C’est que la nouvelle parle aussi de la mort des religions, un autre thème romantique, cher à Gérard de Nerval.
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« Allons dîner, si toutefois la chose est possible, dans cette osteria pittoresque, où j’ai peur qu’on ne nous serve que des biftecks fossiles et des œufs frais pondus avant la mort de Pline. »
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« Les pains et les gâteaux au miel figurent au musée de Naples aussi durs que des pierres à côté de leurs moules vert-de-grisés ; le macaroni cru, saupoudré de cacio-cavallo, et quoiqu’il soit détestable, vaut encore mieux que le néant. »