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Vulgarisation du recours collectif contre Loto-Québec

Publié le 11 mars 2009 par Raymond Viger

loto

Le 15 septembre 2008 débutait officiellement le recours collectif des joueurs pathologiques contre Loto-Québec. Une première mondiale dans le domaine du jeu. Après plus de 6 ans de procédures, la cause est débattue devant la Cour supérieure à Québec. Reflet de Société fait le bilan de cette saga judiciaire qui n’est pas prête de se terminer.

C’est en 2001 que le recours collectif contre Loto-Québec a débuté. Jean Brochu, avocat de profession qui se débattait avec ses problèmes de jeu, a décidé d’intenter des poursuites contre l’institution québécoise qu’il rend responsable de ses déboires. Il demande le remboursement des thérapies suivies par tous les joueurs aux prises avec la maladie de jeu pathologique qui participeront au recours collectif.

L’appel à l’aide de Jean Brochu

Me Brochu a développé une dépendance aux appareils de loterie vidéo (ALV) sur lesquels il a commencé à jouer dès leur apparition sur le marché québécois, en 1993. En 6 ans, il sombre dans l’enfer du jeu. Comme bien des joueurs considérés pathologiques, le jeu prend de plus en plus de place dans sa vie. Tout son argent y passe. Les poches vides, il se sert de ses fonctions de trésorier du syndicat des avocats de l’aide juridique pour assouvir son besoin de jouer. Espérant se refaire, il vole à son Syndicat 100 000$.

Découvert en 1997, il est suspendu de ses fonctions, perd temporairement son titre d’avocat et est accusé au criminel. En consultation auprès d’un psychologue, Me Brochu comprend qu’il est devenu dépendant du jeu. Il suit une thérapie, plaide coupable pour fraude, obtient une absolution conditionnelle, rembourse 50 000$ à son syndicat puis prend action contre Loto-Québec au nom des joueurs pathologiques de la province qu’il estime à 125 000.

C’est quoi, un recours collectif?

Le recours collectif est une manière économique d’accéder à la justice. Ce recours évite une multitude d’actions ou de procès identiques, similaires ou connexes. Ainsi, un seul juge, dans une seule ville, est chargé d’entendre la cause.

Cette procédure permet également aux demandeurs de se partager les frais d’avocats et les coûts reliés à la justice comme les frais de procédures. Normalement, les avocats sont payés à pourcentage advenant d’une victoire. Ils prennent tous les risques en cas de défaite.

Le recours collectif se divise en trois étapes. Il doit d’abord être autorisé par un juge s’il respecte les conditions du code de procédure civile. Ensuite, la cause est entendue. Finalement, s’il y a lieu, on effectue le recouvrement du jugement pour chacun des membres du recours collectif.

Jean Brochu et les joueurs pathologiques

Brochu reproche à Loto-Québec d’avoir propagé l’usage d’appareils de loterie vidéo (ALV) sans avoir pris les mesures appropriées pour informer les utilisateurs du danger d’en développer une dépendance. En raison de cette faute, Loto-Québec devrait réparer le préjudice qui en découle, sous forme de dommages et intérêts.

Les experts de M. Brochu prétendent que les ALV sont conçues spécifiquement pour exploiter une tendance naturelle de l’esprit humain à développer une impression de contrôle qui constitue l’élément déclencheur de la dépendance pathologique. Cette dépendance serait connue scientifiquement depuis 1990 selon leurs prétentions.

La proximité des ALV serait un facteur d’accélération de développement du jeu pathologique, sinon, une des causes nécessaires.

La défense de Loto-Québec

Dans sa défense, Loto-Québec nie la commission de quelque faute que ce soit dans l’exécution de son mandat, voire même quelques obligations statutaires ou légales assimilables à une obligation de renseignements ou d’informations.

Pour Loto-Québec, il ne saurait y avoir de recours collectif puisque le problème de chaque plaignant est différent. Les causes de la maladie, le trouble de jeu pathologique, proviennent de facteurs multiples. Loto-Québec prétend donc que chaque individu victime de jeu pathologique devrait intenter personnellement une poursuite à son endroit. L’opinion de ses experts, les Dr Robert Ladouceur, psychologue, et Fabien Gagnon, psychiatre, est formelle à ce sujet.

Le déni de Loto-Québec

Les interrogatoires hors cours et les dossiers médicaux des membres rencontrés par les avocats de Loto-Québec démontrent que la majorité d’entre eux ont eu des problèmes de dépendance à l’alcool ou aux drogues ou bien ont souffert de problèmes psychologiques ou psychiatriques autre que le jeu pathologique. Plusieurs de ces membres auraient subi des événements traumatiques majeurs. Loto-Québec prétend ainsi que ce sont tous ces problèmes qui ont mené les membres du recours collectif à développer la maladie du jeu pathologique. Ce qui explique que les membres appelés à témoigner soient interrogés par les avocats de Loto-Québec comme le sont les victimes d’agression sexuelle. On fouille leur passé pour les faire parler des traumatismes qu’ils ont vécu.

De plus, l’intensité de l’obligation de mise en garde varie en fonction du degré de connaissance de chaque membre. Selon Loto-Québec, même s’il était démontré un manquement à cette obligation, une preuve du comportement de chaque membre serait nécessaire pour établir le lien de causalité entre la faute et les dommages résultant de ce comportement.

Recours collectif interminable

Difficile de trouver une explication simple justifiant une attente de près de 6 ans entre l’autorisation du recours collectif et le début du procès. C’est qu’à l’intérieur de la cause, une multitude de jugements interlocutoires ont ralenti le processus juridique. Des interrogatoires hors cours – avant le procès – des membres qui finissent devant le juge pour que soient tranchées les objections soulevées lors de ces interrogatoires. Des demandes à la Cour d’appel pour qu’elle casse le jugement autorisant le recours collectif. Des demandes de communications de pièces et interrogatoires entre Loto-Québec et trois fabricants d’ALV forcées d’être parties au procès, la liste est longue.

À plus d’une reprise, lors de ces jugements, les avocats de Loto-Québec ont été rappelés à l’ordre, se faisant sermonner sur leur manque de diligence.

Les causes en jeu dans le recours collectif contre Loto-Québec

La première étape du recours collectif, l’autorisation, est survenue le 6 mai 2002. Mais la cause, sur le fond, a débuté en septembre 2008, soit 5 ans et demi plus tard.

L’essentiel du débat consiste à déterminer la dangerosité des ALV et l’étendue de l’obligation de mise en garde sur le danger de développer la maladie de jeu pathologique.

Cependant, il sera impossible de déterminer, lors du procès, l’indemnité payable à chacun des membres. Le recours collectif ne se penche que sur deux questions, identiques pour tous les membres:

a) les ALV peuvent-ils causer la maladie du jeu pathologique chez les membres du groupe?

b) Dans l’affirmative, Loto-Québec était-elle soumise à une obligation de mise en garde et si oui, cette obligation a-t-elle été rencontrée?

Mince espoir pour les joueurs pathologiques

En cas de victoire de M. Brochu et des membres du recours collectif, il faudra attendre un bon moment avant que ne leur soit versé quelque dédommagement. Car le jugement ne porte que sur la responsabilité de Loto-Québec. Chaque membre aux prises avec la maladie de jeu pathologique devra faire la preuve du coût de ses problèmes de jeu causés par Loto-Québec.

Mais avant d’en arriver là, Loto-Québec risque de porter la cause en appel et, advenant une autre défaite, demander à la Cour Suprême d’y jeter un coup d’œil.

S’agissant d’une première mondiale, une institution du jeu poursuivie pour avoir développé la maladie du jeu pathologique, il est fort possible que la plus haute instance du pays accepte d’entendre la cause.

Reflet de Société, Vol.17, No 2, Février/Mars 2009, p.28-29


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