Les fonctionnaires aux ordres de Nicolas Sarkozy ont-ils appris quelque chose ? Il semble encore que non, puisque « la demande » a encore et toujours fait l’objet des premières attentions gouvernementales. Ignorance économique ou démagogie populiste ? Peut-être nous faut-il attendre « le second train de réformes » - promises, juré, craché – qui opéreront « la rupture » avec la Dépense publique par la rationalisation (urgente) de l’Etat ? Ce qui a été dit hier n’est encore qu’eau de rose : aucun des problèmes de fond n’est véritablement traité !
Patrick Artus et Marie-Paule Virard insistent sur ces problèmes auxquels se trouve confrontée la France – plus que les autres en raison de son inertie persistante à ne rien faire qui fâche :
1. Le vieillissement non seulement des Français mais de toute la planète va entraîner de nouvelles dépenses publiques de retraite et de santé, alors que le déficit est déjà trop important, dans un contexte de concurrence fiscale intra-européenne qui empêche d’augmenter trop la fiscalité. Or, d’ici 30 ans, nous allons passer de 4 à 7 retraités pour 10 actifs en France : qui va payer ? « La générosité de notre système de retraite va de pair avec la surtaxation du travail et donc une distorsion sur le coût des facteurs de production au détriment du travail. Ces disparités très importantes ne sont évidemment pas sans conséquences sur la compétitivité des entreprises françaises et sur l’emploi. » p.43
2. La dégradation trentenaire de l’enseignement supérieur où 1 étudiant sur 2 quitte la fac sans diplôme, la misère de la recherche et l’étrange capacité de l’école à « fabriquer du crétin » en laissant sortir 8% d’une génération sans qualification et, le plus souvent, sans même la maîtrise du lire-écrire-compter que les paysans du 19ème avaient quand même acquis. D’où le mouvement social de la fin 2005 dans les banlieues « laissées pour compte » et début 2006 contre la précarité jeune, instaurée par le CPE. La peur du déclassement professionnel et social devient grave dans « la société de classement française marquée plus que d’autres par le souci de la sélection et de la hiérarchisation. » p.51 Or, « le patronat s’intéresse peu à la formation, les syndicats sont repliés sur les secteurs protégés. Nous n’avons jamais réussi à mettre en place un système d’intégration par l’apprentissage, ni à développer en profondeur les liens entre l’éducation et l’entreprise. » p.61 Ce n’est pas seulement « la faute aux gouvernements », mais bien celle de la société de castes tout entière.
3. Le défi que vont lancer l’immense Chine, la non moins immense Inde et la kyrielle de pays émergents qui arrivent, affamés de croissance, dans la compétition mondiale. « L’agressivité commerciale sera forcément la clé de la croissance chinoise » p.71 car une telle croissance au forcing « suppose des gains de productivité formidables, qui ne pourront être obtenus (…) que grâce aux transferts de technologie associés aux investissements directs en Chine, y compris par le transfert sauvage (autrement dit, la copie) des technologies des firmes étrangères. » p.72 D’où la concurrence probable des produits chinois – y compris technologiques – aux nôtres dans les prochaines années. D’où la forte épargne asiatique prête à s’investir dans nos industries via les actions cotées et les OPA – elles ont déjà commencé. Donc la nécessité de « concevoir une politique de l’offre à long terme » p.78 dès maintenant, en France : encourager la réactivité des entreprises, adapter notre offre à notre demande intérieure, faire glisser les facteurs de production des secteurs trop exposés vers ceux de croissance. Or, Patrick Artus l’avait déjà analysé dans un Rapport 2006 au Conseil d’analyse économique, « les Français ne savent pas aller chercher la croissance là où elle est » p.81 Ils ont une offre de produits peu haut de gamme, avec peu de dimension technologique et peu de diversification : Airbus concentre quasi à lui tout seul l’essentiel des exportations de haute technologie française alors que les Allemands ont la chimie, l’automobile, l’électronique, etc.
4. Le handicap d’une Europe que personne ne veut construire, se réfugiant dans des actions égoïstes, tel le forcing allemand pour baisser ses coûts du travail. La monnaie unique, malgré ses incomparables avantages (le loyer de l’argent reste insensible aux disparités de déficits ou de dettes publiques) exacerbe les écarts entre pays, faute de coopération entre gouvernements, faute d’avoir su créer des entreprises de taille européenne, faute de coordination fiscale et sociale – et faute de mobilité du travail.
5. La « fragilité du monde » s’accroît, issue des politiques monétaires expansionnistes qui ont fait chuter les taux d’emprunt, alimenté la demande grâce à l’endettement généralisé, créé une accumulation de réserves de changes dans les pays émergents ou producteurs de pétrole, qui ont fait grimper les prix de l’immobilier, des bourses et des matières premières. « La dynamique actuelle convient au tandem Etats-Unis/Chine. Et c’est bien l’accord de change fixe entre les deux pays qui constitue la colonne vertébrale du système. » p.117 Le risque de crise du système grandit donc : « Viendra en effet forcément un moment où l’un des acteurs verra plus d’inconvénients que d’avantages à poursuivre dans la même voie, et sera tenté (…) de prendre une décision qui suscitera une remontée des taux d’intérêts. » p.120 Ce risque pourra venir des banques centrales occidentales qui voudront doucher l’exubérance irrationnelle des marchés, de la Chine qui voudra faire entrer sa finance dans le marché mondial en réévaluant brutalement le renminbi, des gouvernements occidentaux inquiets des OPA chinoises sur leurs entreprises, ou encore d’une hausse incontrôlée du prix des matières premières qui engendrera un choc analogue à celui du pétrole dans les années 1970.
Malgré tous ces obstacles, il existe des marges de manœuvre donc un choix politique pour l’économie française. Il faut en premier expliquer aux Français que l’encouragement à la demande ne marche plus et qu’il faut réaliser de vraies réformes structurelles. Avec des ressources qui vont devenir plus rares (argent public, capital humain, capital financier), il est nécessaire d’optimiser leur allocation en privilégiant l’enseignement supérieur, le soutien aux entreprises innovantes (notamment les PME) et une politique active du marché du travail (pour aider, former et reconvertir les chômeurs).
« Une réforme de l’Etat non pas ‘graduelle’ mais rapide est sans doute, et contrairement à bien des idées reçues, le condition indispensable à la préservation de ce qu’il est convenu d’appeler le ‘modèle social français’. » p.140
Les exemples de réforme de l’Etat suédois et canadien dans les années 1990, puis le plan Zapatero pour l’Espagne en 2006 sont ce dont il faut s’inspirer. Les pré-programmes Sarkozy-Royal de fin 2006 sont sévèrement jugés par les auteurs : « Tout autre type de mesures (soutien divers de la demande, réforme fiscale…) n’auraient que des effets négligeables, voire nuls, au-delà du court terme. Quant à celles qui pourraient affaiblir la croissance potentielle (hausse du coût du travail non qualifié, hausse de la pression fiscale…), elles sont à éviter absolument. » p.155 Si les litanies fiscalo-dépensières des Hollande-Fabius sont clairement condamnées, les ‘cadeaux’ aux électeurs effectués par le gouvernement Sarkozy sont considérés comme inutiles.
Le vrai travail de réformes reste encore à commencer !
Ces ados vont-ils vivre moins bien que nous ?
Sinon ? Le scénario catastrophe pour 2030, présenté dans les toutes premières pages, donne une idée de ce que serait la société française dans 20 ans : précarisation généralisée des emplois, y compris des diplômés de l’enseignement supérieur ; écrémage automatique des meilleurs qui s’exileront aux Etats-Unis, en Chine ou en Allemagne ; délocalisations massives en Chine pour raisons technologiques et en Belgique pour raisons fiscales ; l’ascenseur social désespérément en panne, avec les conséquences que l’on imagine sur la banlieue, sur les jeunes, sur l’école ; les retraites (1 Français sur 3 aura plus de 60 ans) laminées par la précarité de l’emploi, la fiscalité élevée et les dépenses de santé…
Allons, Messieurs les politiques, un peu de courage.