Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer?

Par Shalinee

Il n'y a rien de plus efficace qu'un titre bien provocateur et audacieux pour se faire entendre, et ce n'est certainement pas Dany Laferrière (un de mes auteurs préférés) qui dira le contraire. D'origine haïtienne, Dany a longtemps vécu au Canada et il partage de nos jours sa vie entre Miami et le Québec. Maître dans l'art de trouver des titres évocateurs pour ses romans, il explore de façon singulière les relations entre les Noirs et les Blancs dans Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer? (1985)

Bouba et Vieux vivent dans un modeste appartement du Carré Saint-Louis à Montréal. Bouba (alias Roland Désir) passe son temps à philosopher et à lire le Coran quand il n’est pas en train de dormir. Vieux (alias Dany Laferrière) écrit un roman sur ses fantasmes, tout en multipliant des aventures sexuelles avec des jeunes Blanches de Westmount. Que ce soit Miz Littérature, Miz Suicide ou Miz Sophisticated Lady, elles ont toutes en commun d’être issues de la haute société canadienne et surtout, elles préfèrent les Noirs!


Armé de sa Remington 22 (sa machine à écrire), le narrateur fait claquer les mots. C’est sans ambages qu’il nous plonge dans un univers phallique, où l'oisiveté et le plaisir charnel semblent régner en maître. Toutefois, il a le mérite de ne jamais sombrer du côté de l'obscène, car sous ce sujet faussement léger de la sexualité, il examine en réalité les relations entre les Blancs et les Noirs. L’acte sexuel a pour lui toute une dimension métaphysique, car il représente une relation de domination du Noir sur la Blanche, et indirectement, une revanche sur le passé douloureux des Noirs. Aussi, à en croire l'auteur, le sexe reste le seul domaine dans lequel les Noirs sont égaux, sinon supérieurs aux Blancs.


Outre ce débat racial tout à fait étonnant, puisqu'il est axé sur des différences sexuelles, Dany Laferrière a un incroyable sens de la formule, qui donne à son écriture une résonance particulièrement forte. Le présent de l'indicatif, qui est la marque de fabrique de cet auteur, anime tout son récit, comme s'il aurait écrit chaque mot sur le vif. À travers une description dynamique et vivace qu'il nous livre du Montréal des années 80, avec ses quartiers, ses rues et ses marginaux, c’est tout une époque révolue qu’on voit défiler sous nos yeux. C'est une époque sur laquelle l’auteur reviendra avec nostalgie quinze ans plus tard dans un livre tout aussi passionnant, Je suis fatigué (2000).


Il fait EPOUVANTABLEMENT chaud. Le carré Saint-Louis est bourré d'ivrognes au torse nu. L'air est lourd et empeste la bière. On rôtit à l'intérieur, là-haut. L'enfer, je vous dis. Bon, il me fallait cette raison pour descendre. Il n'y a que Belzébuth qui puisse baiser par une température pareille. Ses cris m'emmerdent. Du feu, c'est sûr, doit sortir de sa gueule, là-haut.