Entretien avec Marisa Berenson
(Lady Lyndon dans Barry Lyndon)
Dans votre souvenir, comment vous apparaît Stanley Kubrick ?
Sa disparition m'a rendue très triste. C'est quelqu'un qui me touchait beaucoup. Il était très introverti, très secret, mais avec une grande vie intérieure et une vraie sensibilité. J'en sais peu de chose car il ne s'ouvrait pas beaucoup, mais il y avait en lui une grande tendresse et une grande passion pour ce qu'il faisait. Ce qui frappait, c'était bien sûr son énorme intelligence, mais il avait aussi beaucoup d'humour. C'était un grand timide qui se protégeait beaucoup, mais il était habité par ce qui le passionnait 24 heures sur 24. Il était très exigeant avec les autres, attendant d'eux qu'ils soient autant impliqués que lui et aussi perfectionnistes.
Si on regarde ses films, on peut en déduire qu'il avait certainement avec les femmes un rapport très différent de celui qu'il entretenait avec les hommes.
Il m'approchait effectivement avec beaucoup de timidité et, pendant le tournage, il m'écrivait souvent des lettres plutôt que de venir me parler. Avec Ryan O'Neal, il s'entretenait beaucoup plus volontiers, discutant de sport ou de choses de ce genre, comme les hommes le font entre eux. Ses lettres étaient très personnelles et venaient à des moments où il estimait nécessaire de communiquer avec moi. Sur le plateau, il ne s'exprimait pas beaucoup, même pour diriger ses acteurs. En tout cas, il était plus à l'aise avec Ryan. Après le film, il est resté fidèle, il m'a toujours témoigné du respect et appréciait mon travail, ce qui est touchant et rare chez un metteur en scène. Il nous a quittés très calmement, Eyes Wide Shut terminé, comme si c'était la dernière chose qu'il avait eu envie de faire.
Le rôle du regard est très important dans ses films, et c'est par le regard que vous vous exprimez dans Barry Lyndon, puisque vous ne prenez la parole que 5 ou 6 fois.
Je suis une de ces comédiennes qui aiment les émotions et les regards, et cela ne me gênait pas, au contraire, de faire passer par les yeux ce que je ressentais. Dans la scène de séduction par exemple, où je suis à la table de jeux, où je sors sur la terrasse et où Ryan me suit, il n'y a jamais eu de dialogue, et c'est d'autant plus fort. S'il a dû refaire des prises, c'était à cause de l'extrême complication technique autour de la table. L'objectif Zeiss était très sensible - il y en avait à l'époque que deux au monde, l'un pour Stanley, l'autre sur une navette spatiale qui faisait le tour de la Terre - et, à cause de cet objectif, nous pouvions à peine bouger, sinon nous aurions été flous. De plus, il n'y avait aucun éclairage artificiel, mais des centaines de bougies qu'il fallait sans cesse remplacer quand elles avaient fini de brûler. Quand vous êtes au chevet de Brian, votre fils cadet qui va mourir, vos cheveux sont défaits et votre visage livide de douleur. On sent que c'est un tournant dans votre vie...
C'était aussi une séquence très difficile, car très émotionnelle. Ryan O'Neal devait pleurer, et je me souviens que Kubrick a fait beaucoup de prises sur lui, une cinquantaine je crois, pendant des heures, pour qu'à la fin il soit complètement cassé.