Vous vous souvenez de mes élucubrations d'hier ? Bien, voici donc la suite de l'exercice... Il s'agissait de piocher dans le résultat précédent de son voisin, une phrase, et d'écrire ensuite un texte de caractère scientifique ou mimant un essai de sciences humaines.
J'ai choisi la phrase de ma voisine "C'est si beau une libellule !" et je suis partie dans une forme rencontrée parfois lors de mes lectures, celle d'essais psychologiques et compte-rendus d'entretiens. Nous avions vingt minutes.
Le texte :
"C'est si beau une libellule ! C'est ce que disent les enfants en général. Ils grattent du bout de l'ongle le relief des ailes peintes sur l'album usé et finissent par lisser l'image du plat de la main, tout en levant les yeux vers moi. Ils ressortiront plus tard du cabinet des paillettes plein les doigts.
Louis est un cas à part. Son regard ne s'arrête sur rien, pas même sur sa mère qui, à chaque rendez-vous, esquisse un pas vers moi, hésite toujours à rentrer dans mon bureau et finit immanquablement par refermer la porte sans un bruit, dans un lumineux sourire. Elle patientera dans la salle d'attente, un tricot sur les genoux, nous laissant seuls l'enfant et moi, lui avec ses yeux qui ne regardent rien, et moi avec mon livre, mes lunettes carrées et ma libellule. Comme à chaque fois, je la lui présente, et comme à chaque fois, il l'ignore. Des tests ont été faits. Louis ne souffre ni de déficits mentaux neurologiques ni de déficits occulaires. Il est simplement ailleurs. Mon travail est d'aller le chercher là où il se trouve, de capter son attention, de le ramener parmi nous.
Ma libellule est mise de côté , dans toute sa beauté inutile et colorée. Je sors de mes tiroirs mon attirail habituel. Louis le connaît bien. Il sursaute parfois, à l'écoute de quelques bruits, mais juste après, juste un peu tard, comme s'il me faisait une faveur.
Je ne sais pas encore ce qu'il me cache, ni dans quel chemin il s'est perdu. Pour l'instant, nous en restons là. Je lui présente des objets, son regard traîne ailleurs et ne s'accroche à rien."
© Les écrits d'Antigone - 2009
Un texte écrit dans le cadre d'un stage d'écriture animé par Olivia Rosenthal.
La suite, jeudi !