Dans ce quartier, entrer dans l'école et changer le quotidien, répond plus qu'ailleurs à une attente. Mais depuis quelque temps, je me demande s'il n'est pas trop tard. Cette souffrance et cette misère, qu'y pouvons-nous changer avec "notre culture". Depuis quelques temps, j'ai le sentiment que le quartier va mal ; je le vois allongé, criant son désespoir et c'est drôlement désagréable de se sentir aussi impuissant, de ne voir personne se pencher sur le malade. Nous avions des voisins associatifs qui, à force de déconvenues et de misères quotidiennes sont partis... Quelques uns de moins, et je nous sens nous rapprocher des derniers, nous ne serons pas les derniers, nous sommes les derniers...Chaque semaine des violences, des voitures brulées, des mots désagréables et des maux, des maux...
Quand en 2005 nous avons imaginé notre installation dans ce quartier c’est principalement nos activités administratives (secrétariat production diffusion…) qui trouvaient un toit. En effet, pour une Cie Indépendante dépassant l’age de l’émergence il s’agissait de trouver des locaux qui lui permettent d’assumer la continuité de son projet. Au delà des actions menées sur le quartier, ces locaux remplissaient idéalement les fonctions susnommées…Avec le temps, des rapports plein d’humanité ont pu naître dans le quartier. Connus, et reconnus nous avons échangés et grandis dans de bons termes de voisinage avec la majorité des habitants du quartier, avec les structures qui y sont installées et aussi avec les commerçants de proximité qui continuent d’offrir aux habitants leurs services. A aucun moment, nos salariés ne se sont sentis en dangers et si ici et là, nous avons pu sentir des tensions dans les échanges, les situations sociales dont nous avions connaissance pouvaient en partie l’expliquer…Directeur d’une association, dont l’objet est la création de spectacle de marionnettes mon rôle n’est pas de me substituer aux lacunes des services publiques. Certes, je veux pouvoir croire qu’installant nos bureaux et une partie de nos activités dans un quartier dit « sensible », je participerai à la reconstruction de lien social mais je ne peux être le seul maillon de la chaîne républicaine. Quand nous échangeons avec nos voisins, habitants, commerçants le désarroi et l’impression d’abandon dominent. Vendredi, j'ai commencé les démarches; nous ne pourrons plus rester très longtemps. Comment pouvons-nous continuer de travailler, dans un environnement hors règle, hors norme...ce n'est pas possible. Ce matin, un calme étrange régnait dans la rue. Plus de vingt car de CRS étaient là, déploiement et puis plus rien... c'est trop tard, vraiment trop tard... Les enfants se sont habitués aux bruits de pneus qui crissent, aux échanges illégaux, à une autre économie, à la violence... Avant les vacances scolaires, pendant notre présence dans l'école voisine, pour régler un différent avec un camarade, un enfant s'était armé d'une paire de ciseau...trop tard, c'est trop tard.
Fabrice Levy-Hadida - Cie Les Mille et Une Vies - Théâtre de Marionnettes
Itinérant