Magazine

Journalistes italiens

Publié le 09 mars 2009 par François Monti

Où que vous soyez en Europe, s’il y a un livre sérieux que vous rencontrez partout, il s’agit bien du « Gomorra » de Roberto Saviano. C’est sans doute autant lié au sort de l’auteur, Rushdie contemporain (menacé de mort par la Camorra qu’il a disséqué un peu trop précisément, il est en fuite perpétuelle sous protection policière), qu’aux qualités évidentes du livre. « Gomorra » est aussi puissant de par son contenu que de par son écriture. Livre fort, courageux, extrêmement intéressant et au final beau. Deux bémols m’empêchent quand même de me joindre totalement au concert de louanges. Le premier est lié à l’absence totale de sources – bien qu’il soit possible que ce soit l’édition française qui s’en soit débarrassé. Il ne s’agit évidemment pas d’attendre de Saviano qu’il révèle les noms des personnes lui ayant passé des informations, mais plutôt d’un étonnement réel quand à l’absence total de références ou de renvois vers des éléments tangibles. D’où viennent les chiffres, les données ? Quand ont été réalises tels ou tels entretiens ? Ce sont là des informations indispensables à l’heure de jeter un regard sérieux sur ce type de livre. Bien sûr, le fait même que l’auteur soit menacé de mort avalise a posteriori ses dires, mais je ne peux m’empêcher de regretter l’absence d’annexe avec ces informations. C’est malheureusement assez courant dans les livres-enquêtes journalistiques français (et donc peut-être aussi italiens) et nous mène à l’exact opposé de la pratique anglo-saxonne.
L’autre bémol est plus substantiel, à mon sens, et si j’avais lu le livre à une époque où j’avais le temps de revenir dessus, j’en aurais sans doute fait un papier plus complet : le discours politique de Saviano est maladroit, inconstant et peu convaincant. L’un des leitmotivs théorique du livre est celui de la camorra comme avant-garde de l’ultralibéralisme radical. Il devient vite évident que derrière cette idée il y a déjà un problème fondamental de connaissance en philosophie politique. Ce qui est considéré ici comme libéralisme correspond à la vision du vulgus pecum et n’a pas grand-chose de commun avec la théorie politique et économique du même nom qui, rappelons le tout de même, se base sur le droit, qu’il soit garanti par l’Etat, pour les plus modérés, ou naturel, pour certains des plus radicaux. Le libéralisme dénoncé est un fantasme absolu qui rappelle les cris délirants de certains pour qui des politiques tout simplement sociales-démocrates sont communistes. En fait, Saviano décrit les processus typiques du capitalisme corporatiste statodépendant justement dénoncés par les libéraux radicaux. De plus, un parfum de contradiction plane régulièrement sur le rôle de l’Etat dans ce montage où l’on a un peu l’impression qu’il est la solution avant d’être identifié comme le problème et vice-versa. Rappelons juste que l’existence des mafias dépend en large mesure d’un Etat qui interdit certaines pratiques. Sans la forteresse Europe, le trafic de clandestins serait-il aussi lucratif ? Sans la guerre contre la drogue, ses substances seraient-elles d’aussi mauvaises qualités et rapporteraient-elles autant ? Bien sûr, le sujet n’est pas aussi simple que ça, mais c’est une dimension essentielle qui doit être pris en compte dans l’analyse politique du phénomène. Cette relation de dépendance entre mafia et Etat éloigne justement la camorra de l’épouvantail radical libéral puisque ces radicaux là veulent le moins d’Etat possible et déclarent qu’il n’est qu’une mafia ayant réussi (par ailleurs, les libéraux les plus radicaux sont des anarchistes qui ne pensent ni que le système capitaliste à besoin de l’Etat pour survivre, ni qu’une société sans Etat serait une société sans propriété).
Mais je ne comptais pas parler autant de Saviano. Je voulais parler d’un autre auteur qui livra il y a quelques années une mémorable fiction sur un thème assez proche. Giosuè Calaciura fournit, à travers un monologue criminel spectaculairement écrit, un somptueux portrait de l’histoire de la mafia dans « Malacarne », un chocs de 2007. Dans un même style littéraire, il s’intéressa aussi, avec « Les passes noires », à l’esclavage sexuel auquel sont soumis de jeunes africaines amenées illégalement en Italie. Peut-être est-ce dû à la réutilisation d’une technique exactement identique à celle de « Malacarne », mais ce roman, pourtant remarquable, m’a moins touché. En ce début d’année, Les allusifs publient un nouveau texte de Calaciura qui est, lui, assez différent. De prime abord, « Conte du bidonville » est l’histoire d’une mère qui recherche sa fille perdue dans les quartiers pauvres d’une ville ougandaise. A la manière des deux précédents titres, l’histoire d’un individu est prétexte à un parcours bien plus global dans les maux de notre époque. Il s’agit ici bien évidemment d’une Afrique dévastée par la pauvreté, la faim et la maladie, où les gens survivent dans un théâtre misérable où priment exploitation, violence, prostitution et sida malgré l’insistance désespérée des individus pour vivre leurs amours, leurs rêves et leurs joies. Calaciura est un journaliste et on imagine que ses voyages et reportages contribuent à la force de ses romans. Remarquable écrivain, on craignait quand même l’enferment dans une formule stylistique. La bonne surprise des « Conte du bidonville » c’est qu’il n’en est rien. On n’est plus dans le monologue et on sort de la déferlante verbale. C’était brillant mais ça l’est tout autant. L’écriture respire plus, le ton est plus posé, presque moins urgent. Il y a même l’introduction de quelques éléments magico-réalistes qui s’intègrent plutôt bien à l’ensemble. Bref : Calaciura a plus d’un tour dans son sac et même si je n’ai pas ressenti le même choc qu’à ma découverte de « Malacarne », « Conte du bidonville » est une très belle pièce du corpus de plus en plus fascinant d’un écrivain dont le pouvoir d’empathie et surtout la capacité à présenter des situations complexes dans un nombre de page réduit impressionne, d’autant plus que les thèmes éminemment politique et la brièveté de l’espace d’exposition n’empiètent en rien sur une qualité littéraire remarquable.
Giosuè Calaciura, Conte du bidonville, Les allusifs, 14€
Roberto Saviano, Gomorra, Gallimard, 21€


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


François Monti 10 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog