Ce nouvel épisode de la longue « guerre des roses » a mis à jour, une fois de plus, les contradictions fondamentales qui minent le PS : un parti de gouvernement qui refuse de reconnaître la présidentialisation des institutions et qui se réduit trop souvent à une association d’élus locaux soucieux de leur seule réélection. Ces contradictions n’ont pas été levées lors du congrès de Reims en novembre 2008 ; elles sont même rentrées à leur tour en collision à l’occasion de la constitution des listes européennes ces dernières semaines. Au-delà des discours vantant l’unité retrouvée grâce à la réintégration des royalistes dans la direction nationale, on a en effet assisté à un événement au PS : l’affirmation au grand jour de son nouveau Premier secrétaire, Martine Aubry, contre les courants constitués et contre une partie des grands élus locaux.
Dans un parti à vocation présidentielle comme le PS – vocation renforcée par le quinquennat –, il pouvait sembler évident que l’accession d’une personnalité « non présidentiable » à ce poste la rangerait immédiatement dans le camp des prétendants possibles. L’argument du « tout sauf un présidentiable », puis du « tout sauf Ségolène Royal », comme chef de parti qui a servi de viatique à tant de responsables socialistes lors du congrès de Reims n’a finalement trompé que ceux qui l’ont mis en avant. On peine d’ailleurs à croire que les apprentis docteurs Frankenstein (i.e. les « reconstructeurs » fabiusiens et strauss-khaniens principalement) qui ont ressuscité Martine Aubry en lui confectionnant son nouvel habit de leader pensaient sérieusement voir leur créature leur rester fidèle et leur assurer en 2011-2012 la maîtrise d’un parti en état de marche pour qu’ils puissent enfin jouer la partie présidentielle dont ils ont été privés par Ségolène Royal en 2006-2007.
La constitution des listes pour les élections européennes aura finalement servi de première opportunité d’émancipation à Martine Aubry, notamment vis-à-vis de ceux qui l’ont faite reine en novembre dernier. Non seulement elle a imposé ses choix et ses amis – la surreprésentation de ceux-ci par rapport aux autres composantes de sa majorité est significative – mais en plus elle a su attirer, grâce à la nouvelle force politique centripète qu’elle incarne désormais par fonction, les principaux lieutenants des présidentiables du parti. L’objectif est clair : esquisser les contours d’une « sensibilité » aubryste qui pioche dans tous les courants et qui permette à la nouvelle chef du parti de mobiliser des ressources partisanes directes dans un éventuel affrontement avec Ségolène Royal pour la désignation présidentielle de 2011. Face à cette logique implacable – fonctionnelle diraient certains – les (faibles et composites) courants de Reims ont d’ores et déjà explosé, et chacun tente maintenant de profiter au mieux de cette nouvelle redistribution des cartes. Soit en se rapprochant plus ou moins ouvertement du nouveau centre du pouvoir (Claude Bartolone, Jean-Christophe Cambadélis, Pierre Moscovici, Vincent Peillon…), soit en protestant vigoureusement contre ce nouvel autoritarisme inconnu sous le règne de François Hollande.
C’est notamment le cas de certains grands barons locaux au détriment desquels se fait, dans chaque courant, le rééquilibrage du rapport des forces. Au premier rang desquels on trouve le maire de Lyon, Gérard Collomb, dépité par les choix de la direction nationale et par ceux de son courant royaliste. Et même si les protestataires ne sont pas des premiers prix de vertu de démocratie interne au PS – quand il s’agit de constituer leurs listes locales, ils n’ont pas les pudeurs qu’ils affichent aujourd’hui –, leur « mouvement » met tout de même en évidence un paradoxe sur lequel le PS ne pourra vivre très longtemps. Comment la direction d’un parti qui est devenu, à force de conquêtes électorales locales et de concentration sur son rôle de gestionnaire de collectivités territoriales, une vaste association d’élus, peut-elle « négliger » à ce point certains de ses « barons » lorsqu’elle confectionne des listes européennes aux caractéristiques si locales (les circonscriptions en forme de « grandes régions » favorisant fortement les jeux locaux) ?
Le bilan de l’opération « européennes » ne pourra bien évidemment être tiré qu’au soir des élections du mois de juin. Mais certains enseignements s’en dégagent d’ores et déjà. On a vécu la fin de l’illusion de Reims – à laquelle certains faisaient semblant de croire du moins – sous la forme d’une rationalisation accélérée de la direction du parti (intégration des royalistes, affirmation de l’existence d’un leader…). Mais cette évolution n’a pas levé l’ambiguïté fondamentale qui mine le parti : présidentialisme obligé contre dilution locale forcée du pouvoir réel dans le parti. Qu’il s’agisse de Martine Aubry ou de Ségolène Royal – ou de tout autre candidat putatif –, tout prétendant devra s’appuyer sur les élus et leurs entourages qui « sont » le PS d’aujourd’hui pour conquérir la candidature à la présidentielle tout en donnant, dans le même temps, les gages de son présidentialisme, c’est-à-dire de sa capacité à centraliser la décision et à l’imposer aux barons qui la soutiennent – d’autant plus si la désignation se joue dans une primaire ouverte au-delà des membres du parti. La dernière élection présidentielle, le congrès de Reims et l’épisode de la constitution des listes européennes ont montré que la voie était, à chaque fois, particulièrement étroite et difficile à négocier.
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